Sur une idée de Monique jeanne, ancienne élève de l'école normale d'institutrices de la Manche (promotion 1966-1970) et adhérente de la Maison de l'histoire de l'école dans la Manche (MHEM), La municipalité de Coutances par la voix de Gaétane Pitois, aussi ancienne élève de cette même institution de formation des maîtres et ajointe au maire de Coutances, la municipalité a décidé de nommer l'ancienne cour d'honneur, "Esplanade Francine Best".
Devant les élus, la famille, et un public nombreux, une plaque apposée au mur de l'ancienne école normale (créée en 1883-1884), fut dévoilée par les petits-enfants de Francine. Cérémonie à la fois sobre et émouvante qui a permis de retracer le parcours de cette grande dame de la pédagogie et de la réflexion éducative. Elle a accompagné la création de la MHEM lors d'une intervention qu'elle avait bien voulu nous accorder à l'auditorium des Archives départementales de la Manche à Saint-Lô.
J'ai eu le privilège, l'honneur et la fierté de présenter ce parcours en tous points exemplaire d'une Caennaise de naissance aux origines paternelles manchoises revendiquées. Francine Best repose aujourd'hui dans le cimetière de Regnéville-sur-Mer.
Ci-dessous ce discours.
Mesdames, Messieurs,
chers amis
Il est difficile
d’exprimer l’émotion que je ressens en cet instant, alors que je suis devant
vous pour vous parler d’une grande dame.
En effet, c’est un
immense honneur qui m’a été fait lorsqu’on m’a demandé d’évoquer le parcours de
Francine Best.
Ma première réaction fut alors
de m’interroger. De quelle légitimité pouvais-je me prévaloir pour accepter
cette proposition?
Des scrupules qui furent vite
estompés en me rappelant non sans émotion les occasions finalement assez
nombreuses qui m’ont été offertes de rencontrer Francine. Le président fondateur
de la Maison de l’histoire de l’école dans la Manche que je suis, ne
saurait oublier le soutien que lui doit la création de ce conservatoire du
patrimoine scolaire situé à Carentan-les-marais. Pas davantage oubliée, la discussion
approfondie à son domicile de Regnéville, en 2017 autour de la biographie que
je préparais de Madeleine Deries, cette jeune Saint-Loise, première femme en
France, à soutenir avec succès une thèse d’histoire en Sorbonne. Discussions, aussi
passionnées que vous pouvez l’imaginer, autour de l’émergence des
revendications féministes de ces jeunes intellectuelles du début du XXe siècle.
C’est donc avec fierté
que je vais essayer de retracer le parcours de cette grande dame qu’on honore
aujourd’hui. Ce sera évidemment à grands traits. Vous voudrez bien m’en excuser
tant les domaines dans lesquels Francine Best s’est investie et ses engagements
sont nombreux et divers. D’autres l’ont fait bien mieux que moi, que ce soit
Danièle Zay, responsable de recherche à l’INRP ou plus récemment notre ami et regretté
Jean Gugliemi dans un article publié par Michelle, son épouse, dans Oser
savoir sous l’égide de la Société académique des sciences, arts et belles
lettres de Caen.
Mais revenons à Coutances
si vous le voulez bien et à cette sympathique manifestation d’aujourd’hui.
Francine Best prend la direction de l’école normale d’institutrices de la
Manche en 1962. Elle venait d’Algérie. 1962, l’Algérie… voyez l’association en cette année cruciale et le
raccourci interprétatif qui n’a pas manqué d’être fait. Je l’ai encore entendu
exprimé très récemment, y compris avec le contexte ambiant de l’époque !
En fait, il n’en est
rien. Francine Jeanne Odette Postaire est née à Caen le 22 octobre 1931,
déclarée par son grand-père maternel, lui-même instituteur. Ses parents étaient
également instituteurs. Ils étaient en poste dans une petite école de la
campagne aux alentours de Falaise. Son père, René Postaire, formé à l’école
normale d’instituteurs de la Manche, était originaire d’Equeurdreville, près de
Cherbourg où il était né en 1907. Sa mère, Jeanne Deberne, née à Rouvres, dans
le département du Calvados, était aussi institutrice.
Francine par sa branche
paternelle était Manchoise. De cœur elle l’est restée.
C’est donc à Caen que
Francine effectua ses études secondaires. D’abord au collège secondaire de
jeunes filles de la rue Pasteur, celui où exercèrent plus tard, dans les années
1950, Michèle Perrot et Mona Ozouf. Après le baccalauréat elle fréquenta le lycée
Malherbe pour suivre les classes préparatoires, hypokhâgne et khâgne. Elle
avait pour projet une admission à l’École normale supérieure de Fontenay. Elle
se retrouva nommée à Strasbourg puis à l’école normale d’institutrices de Caen
de 1957 à 1958 comme maître auxiliaire chargée de l’enseignement de philosophie
où elle obtint sa titularisation comme certifiée de philosophie
Sa réussite à
l’agrégation de philosophie en 1959 allait alors se révéler déterminante.
L’administration lui
intima l’ordre de rejoindre l’Algérie sinon de perdre définitivement le
bénéfice de l’agrégation.
Francine Postaire se
retrouva donc à enseigner la philosophie aux jeunes filles du lycée Gsell à
Oran en 1960. Pour se rapprocher de son fiancé, militaire dans la marine
nationale, basé à Alger, elle demanda et obtint sa mutation pour un de
professeur à l’école normale d’institutrices El Biar, à Alger. Déjà, ses
engagements assumés dans la vie publique lui valurent quelques déconvenues et
tracas.
Au cours de l’année 1961-1962,
elle fut admise à l’École normale supérieure de Fontenay-aux-Roses en formation
d’inspectrice et de directrice d’école normale et, administrativement, à
l’école normale d’institutrices de Rouen pour dispenser des cours de
philosophie.
C’est à la rentrée
scolaire 1962 que Francine Postaire, devenue Madame Best par son mariage avec
Robert Best, contracté à Paris le 5 juillet 1962, c’est donc à la rentrée 1962 que
Francine Best prend la direction de l’école normale d’institutrices de la
Manche, à Coutances.
Voilà pour la première étape
d’un parcours professionnel qui ne faisait que commencer.
Encore un mot cependant,
pour dire l’impact que suscita cette nomination. Je le tiens de témoignages
concordants. Francine Best succédait à une directrice qu’on peut qualifier de
traditionnelle. Je ne crois pas nécessaire de vous en faire une description.
Vous me comprenez.
D’emblée, la nouvelle
directrice prend le contre-pied. Mesdemoiselles, leur disait-elle, vous êtes
responsables de vous-même. Mais aussi de l’image que vous donnez de vous-mêmes dans
vos actes et vos comportements, de l’image de l’institution que vous
représentez. Souvenez-vous-en lorsque, en toute liberté, vous sortez en ville :
vous serez épiées, vous serez jugées et à travers vous, c’est l’établissement
et l’institution toute entière qui le sera. Eh bien, croyez-moi si vous voulez,
j’en ai connu plus d’une de mes camarades d’alors qui se sont trouvées
totalement désarçonnées par ce discours d’une tonalité toute nouvelle qui
tranchait avec l’éducation rigoureuse et dirigiste en vogue à cette époque.
Vous reconnaissez-là l’un
des traits caractéristiques qui ont été au cœur même de l’action éducative de
Francine.
De cette période Coutançaise
et manchoise je retiendrai encore deux faits particuliers. Le premier, sur
lequel je n’insisterai pas outre mesure (j’y étais témoin) ce fut son action
lors d’événements de mai 1968, défilant dans les rues de Coutances en tête du
cortège avec les élèves normaliennes.
Le second moins connu mais
qu’elle a raconté lors du 50e congrès de la Fédération des sociétés historiques
et archéologiques de Normandie à Saint-Lô en 2015. Elle fut la première en
France à mettre sur pied un stage de formation qu’on n’appelait pas encore
« continue » des institutrices au cours de l’année 1967-1968. C’était
une première et c’était dans la Manche et à l’école normale de Coutances, par
échange entre titulaires et normaliennes de quatrième année. L’interrogeant
pour en comprendre la faisabilité administrative, elle me confirma que de
janvier 1967 à octobre de la même année, elle assura les fonctions d’inspecteur
d’académie de la Manche lui permettant ainsi de prendre des dispositions
administratives indispensables et de lancer les convocations. Elle assura
l’intérim à la tête du département entre le départ à la retraite d’Henri
Dégremont et l’arrivée de son successeur, Raymond Lunel. Lequel, me confia-t-elle,
n’avait guère apprécié l’initiative.
Une initiative qui
pourtant n’allait pas tarder à se généraliser et à s’officialiser témoignant de
son engagement et de son implication dans les processus de formation et de
recherche pédagogique à l’INRP aux côtés d’André de Peretti et de Louis Legrand.
C’était Francine. Elle me
confia que dans notre institution, il faut toujours savoir saisir les
opportunités quand elles s’offrent à vous, voire parfois, savoir les provoquer
ou les anticiper.
°°°°
Parvenu à ce point, je
voudrais vous rassurer : je ne vais pas pouvoir continuer sur ce registre
sinon nous pourrions y consacrer tout l’après-midi, un colloque, que sais-je, un
congrès voire davantage pour exposer une pensée aussi riche que féconde que fut
celle de Francine. Ce n’est pas l’objectif, d’autant que je crois savoir que l’INSPE
de Caen-Normandie, succédant aux écoles normales et aux IUFM, va proposer dans
l’année qui vient l’organisation de tables rondes et des journées études
consacrées aux apports de la pensée éducative de Francine Best.
Mais, parce que nous
sommes réunis à Coutances, sur le lieu de son premier poste de directrice, que je
m’y suis attardé un peu plus longuement. Par la suite, c’est à l’école normale
d’institutrices de Caen qu’elle poursuivit sa carrière pour exercer la fonction
d’Inspecteur pédagogique régional, IPR-IA, de 1974 à 1982, avant d’être appelée
par Louis Legrand à prendre la direction de l’institut national de recherche
pédagogique (INRP) de 1982 à 1988. Puis de rejoindre, en 1990, les corps
d’inspection comme inspectrice générale de l’éducation nationale.
Une carrière exemplaire,
comme vous pouvez le constater, ponctuée de distinctions hautement méritées. Permettez-moi
de les citer dans l’ordre inverse de l’ordre protocolaire. Francine Best fut
chevalier de l’ordre des Palmes académiques, grand officier de l’ordre national
du Mérite et commandeur de la Légion d’honneur. Trois ordres nationaux ici
représentés que je salue, soulignant l’importance reconnue des engagements de
Francine.
Des engagements, en
effet, elle n’a cessé d’en avoir. Ce ne sont pas les anciens élèves des écoles
normales de la Manche qui me contrediront quand Francine Best ne manquait que
rarement la réunion annuelle de leur amicale venant, souvenez-vous Mme
Roumy, avec l’un de ses petits cahiers sur lesquels elle avait consigné
l’essentiel de la question qu’elle souhaitait aborder.
La philosophie,
disait-elle en substance, devait servir à comprendre la complexité des
questions liées à l’éducation. Très tôt, en effet, elle se rapprocha des
sciences de l’éducation que venait de créer Gaston Mialaret à l’université de
Caen. De leur réflexion mutuelle, jointe
à celle de Jean Château et de Maurice Debesse, découla un rapprochement
fructueux entre la recherche et la pratique. Pour elle, l’une n’allait pas sans
l’autre. Elles sont absolument complémentaires.
C’est ainsi qu’elle a pu
conclure sa vie professionnelle par la promotion de l’éducation aux droits de
l’homme au sein de l’Unesco, mandaté par l’INRP. « Je suis philosophe,
disait-elle, et agrégée de philosophie pour former des maîtres ». Pour elle, la
réflexion philosophique fait corps avec l’humanité d’où son engagement auprès
de la Ligue des droits de l’homme.
Des engagements et des
implications qu’elle exerça, appliquant ces mêmes principes, auprès des
mouvements d’éducation populaire. Elle s’impliqua aux côtés de Robert Delaunay dans
la Fédération des œuvres laïques de la Manche, notamment en mobilisant
l’activité des normaliennes lors des fêtes des écoles laïques. C’est aussi à
Oran, dit-on, qu’elle aurait découvert les centres d’entraînement aux méthodes
actives, les CEMEA, dont elle va devenir la présidente d’honneur. Ce n’est pas
sa représentante qui me dira le contraire. Probablement, par résurgence d’une
éducation familiale ouverte, Francine a été très tôt acquise aux principes des
pédagogies actives et nouvelles centrées sur l’apprenant. C’est ainsi qu’elle
définissait ses implications dans la communication déjà citée qu’elle avait
bien voulu faire lors du 50e congrès de la FSHAN à Saint-Lô en 2015,
sur le thème « Eduquer et instruire en Normandie ». Comparant,
sans les opposer, l’action du GFEN et celui du mouvement Freinet, elle ne
cachait pas sa préférence pour ce dernier. Elle avait personnellement rencontré Célestin et
Elise Freinet et militait au sein des Amis de Freinet dont je salue le
représentant ici présent. Elle était une ardente défenseuse cette pédagogie active
qu’elle justifiait d’arguments philosophiques d’une clarté et d’une pertinence
incontestables. Elle avait d’ailleurs présidé le comité d’organisation du
centenaire de Célestin Freinet.
D’ailleurs, c’est en s’appuyant
sur ces principes que, lors de ses mandats électifs à Hérouville-Saint-Clair
dans le Calvados, comme conseillère municipale et comme adjoint au maire,
François Geindre, elle s’investit dans les années 1980, aux côtés de la
municipalité de Saint-Fons près de Lyon, dans la mise en œuvre de ce qu’on a
appelé « l’école ouverte » sur la cité. Avec notamment, la création de l’école Freinet
et le CLE, collège- lycée expérimental, qui fonctionnent toujours aujourd’hui.
On retrouvera ces principes dans un remarquable ouvrage : Naissance
d’une autre école dont on devrait pouvoir encore aujourd’hui très largement
s’inspirer.
Malgré tout, je passerai sous
silence, parce que ce serait trop long et ennuyeux, ses nombreuses publications
sans omettre tout de même de citer l’une d’entre elles, conduite avec son jeune
comparse, Yves Madouas, qui, à mes yeux, demeure l’une des plus intéressantes
du point de la réflexion sur la pédagogie de l’éveil.
Nous pourrions évoquer encore
longuement ses nombreux engagements : Terre d’asile, l’Observatoire des
zones d’éducation prioritaires (OZP), les Amis de Jean Zay, sans oublier le
GREF, le groupement des éducateurs sans frontières… J’en oublie nécessairement
et vous m’en voyez désolé.
°°°°
En conclusion, je dirais
que faire l’éloge de cette grande dame qui figure au Panthéon de nos grands
pédagogues est pour moi une grande fierté.
Un grand merci à Monique
Jeanne d’en avoir eu l’initiative, un grand merci également à la municipalité
de Coutances et à Gaétane Pitois d’avoir saisi cette occasion pour rendre
hommage à une figure qui a marqué des générations d’enseignants notamment par
son passage à Coutances. En outre, fidèle à sa branche paternelle manchoise, c’est
proche de Coutances, à Regnéville-sur-Mer qu’elle venait se ressourcer et où
elle repose aujourd’hui.
Francine Best a su allier avec intelligence et humilité, ses combats
intellectuels et ses engagements de terrain en faveur des droits de l’Homme, de
l’éducation populaire et de l’Éducation nouvelle. Elle a toujours défendu une
pédagogie de l’éveil concrétisée par un projet d’activité centré sur l’individu
apprenant dans tous les champs de l’éducation.
Coutances peut
s’enorgueillir d’honorer aujourd’hui une grande dame qui par sa vie
professionnelle, ses engagements et ses implications, a bien servi la cause de
l’éducation libératrice, créatrice de l’idée même d’humanité.
Merci à vous tous.
Coutances,
le 6 avril 2024
Yves
Marion, fondateur de la MHEM
Coutances, 6 avril 2024. © Yves Marion