Pour l'historienne Rebecca Rogers, la Troisième République a incontestablement favorisé l'éducation des filles et ouvert la voie de leur émancipation, même si l'objectif était, à l'origine, de former de bonnes épouses et de bonnes mères.
Filles de l'école de La Baroche, estampe, 1889 - source : Gallica-BnU |
Rebecca Rogers est historienne, professeure à l'université Paris Descartes et spécialiste de l'histoire de l'éducation féminine en France au XIXe siècle. Elle a notamment co-écrit avec Françoise Thébaud, La Fabrique des filles, L’éducation des filles, de Jules Ferry à la pilule, un ouvrage passionnant qui retrace le long cheminement vers l'émancipation féminine.
Propos recueillis par Marina Bellot
RetroNews : Quand, en 1878, Camille Sée propose d’instituer les lycées de jeunes filles, le débat dans la presse est houleux. Un rédacteur du Figaro déclare par exemple qu'il aimerait mieux voir sa fille balayeuse des rues qu’élève d’un lycée de jeunes filles ! Qu’est-ce que cela révèle des préjugés et des peurs de l’époque ?
Rebecca Rogers : Cela révèle d’abord la manière dont la presse amplifie des mouvements qui ne sont pas majoritaires dans la société ! La question d’envoyer sa fille dans un lycée ne concerne que la population bourgeoise de l’époque.
On voit dans cette réaction les réticences d’une bourgeoisie catholique et conservatrice à confier leur fille à une institution d'État et, à l'époque, le débat tourne beaucoup autour du fait qu’il n’y aurait pas suffisamment de garanties par rapport à la religion et à son enseignement.
Il y a aussi la peur d’envoyer les filles dans des internats, des effets de la promiscuité entre filles, sans parler de l’insuffisance d’enseignantes, qui fait qu’on craignait la proximité des adolescentes avec des enseignants hommes.
Cela montre en tout cas que tout ce qui touche à l’intervention de l’État par rapport à l'éducation des filles interpelle et peut faire peur, même si on voit in fine que les familles se sont avérées plus intéressées que ce qu’on avait anticipé.
En 1880, Jules Ferry prône certes l’instruction des filles, mais revendique-t-il une véritable égalité entre les deux sexes ?
Jules Ferry prononce un très beau discours en 1870 à la salle Molière où il parle de l’égalité d'éducation, et où il dit en substance : « on aurait fait qu’un pas si ce n’étaient que les classes sociales qui étaient rapprochées par l’éducation. L’autre pas, c’est de rapprocher les sexes ».
On pourrait le mettre dans le Panthéon des figures qui promeuvent l’égalité des sexes. Mais à l’époque, la notion d'égalité des sexes n’est pas du tout la même qu'aujourd'hui. On pense d'abord la femme au sein de la famille : elle doit être une bonne mère et une bonne épouse, et pour cela elle doit être instruite.
Et puis, derrière cet effort d'instruction des filles, il y a la peur de l’Église, l’idée qu’il faut arracher leur éducation des mains de l'Église, et ouvrir des établissements qui forment des familles républicaines. L’État rattrape ainsi son retard en la matière : à l’époque, même dans les établissements publics, ce sont souvent des congrégations religieuses qui enseignent.
Source: RetroNews