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samedi 29 août 2020

Charles Frémine - Guerre de 1870

Christophe Canivet nous propose cette contribution et complément à l'article publié le 19 août 2020  « 1870-1871 : la guerre franco-prussienne », sur Arte 

 

Charles Frémine
Charles Frémine

Le premier volet du triptyque d'ARTE est basé sur le journal de la fiancée du peintre Regnault. Ci-après, l'article que  Charles Frémine consacra à cet artiste ou plutôt au monument qui marque l'endroit où il est tombé, à Buzenval.

Le Bricquebétais Charles Frémine était un journaliste, un poète et un conteur hors pair mais aussi le critique artistique du journal Le Rappel sans oublier qu'il avait été un de ces volontaires qui défendirent le Paris assiégé. Armand Charles Camille Frémine était né à  Villedieu-les-Poêles le 3 mai 1841. Il est mort à Paris le 10 juin 1906.

 

 

 

 Notes et Souvenirs

 

Monument Henri Regnault
Crédit delcampe.net

Je ne puis encore regarder de sang-froid cette vieille muraille toute rapiécée qui, là-bas, du côté de la plaine, ferme le parc de Buzenval.

Chaque fois que, remontant le chemin sablonneux qui va de Suresnes à Garches et met sa traînée rougeâtre au flanc du coteau, j'aperçois à ma droite, sous la masse moutonnante du bois, ce long mur houleux, tatoué de plaques blanches, qu'une poignée de gardes nationaux, sans artillerie, à la baïonnette — comme des Français — emporta d'assaut malgré sa meurtrière crénelure pendant la journée du 19 janvier 1871, je ne puis retenir mon indignation contre ce triumvirat militaire et monarchiste, contre ces incroyables chefs de guerre — Trochu, Ducrot, Vinoy — qui, pendant toute la durée du siège, méprisant ou redoutant l'appoint que pouvait apporter à la défense l'entrée en ligne de l'armée de Paris, attendirent que tout fût perdu pour envoyer bêtement, criminellement, mourir son héroïque avant-garde dans un combat inutile comme s'ils avaient eu besoin de cette dernière saignée faite à son patriotisme pour capituler, le lendemain, plus sûrement et plus vite.

Récriminations rétrospectives et sans portée, dira-t-on. Soit. Mais encore est-il qu'il est permis de se demander ce que pouvaient bien faire là-haut les canons du Mont-Valérien que pas un de leurs obus n'essaya de jeter bas le mur du parc, de déloger les Allemands du bois, et qu'en somme la forteresse resta muette tandis que les vaillants soldats des compagnies de marche s'avançaient à découvert, sous les balles, se faisaient tuer par centaines, sans reculer, pour la patrie ! et que Henri Regnault, et à côté de lui Carle Philippi — un artiste, un intellectuel aussi, mon ami Carle — tombaient morts tous les deux en brûlant leur dernière cartouche !

Je me souviens qu'une après-midi d'hiver, égaré dans les taillis de Buzenval, j'y découvris par hasard, au bord d'une allée, à une cinquantaine de mètres du mur d'enceinte, un petit monument élevé à l'endroit même où fut retrouvé le cadavre de Regnault. Un buste en bronze — le sien — au sommet d'une pyramide et, sur le piédestal : À Henri Regnault, peintre, tué à l'âge de 27 ans, par les Allemands au combat de Buzenval, 19 Janvier 1871.

À la fourche d'un jeune chêne dont la. tête était coupée — était-ce un symbole ? — pendaient deux ou trois couronnes d'immortelles flétries. L'allée déserte était pleine de feuilles. Une bise aigre faisait tomber le givre des branches. Je m'assis sur un banc de pierre placé en face de la pyramide, et j'y restai longtemps à me souvenir .

Et je revis l'Histoire et Paris affamé,

Pâle sous les éclairs des sombres canonnades,

Et la flamme rougir l'azur du ciel de Mai,

Et les Arts qui pleuraient au pied des colonnades.1

Je revis surtout, je revois encore du haut d'un bastion de la Porte-Maillot où deux pièces de vingt-quatre gisaient, la gueule à terre, démontées, un immense drapeau flotter dans le crépuscule, sur la citadelle du Mont-Valérien.

On l'y avait hissé pendant la nuit — la nuit du 22 janvier. C'était un drapeau blanc et noir, le drapeau allemand, le drapeau de la capitulation. La muraille bouleversée était déserte, tous les forts étaient muets, un affreux silence stupéfiait les campagnes couvertes de neige.

Voilà vingt-sept ans de cela. Nous avons toujours au cœur l'humiliation, la honte de ce drapeau et j'ai toujours sur la joue la brûlure des larmes qui me tombèrent des yeux.

L'homme de fraude et de génie qui consomma notre ruine vient de s'éteindre, plein de jours, et, quoi qu'on en puisse dire et malgré sa disgrâce, dans l'orgueil triomphant de son œuvre exécrable, toute entière debout, sans que les armées de France et d'Europe aient, de son vivant, osé y toucher.

Et pourtant... On dit que les mourants revoient toute leur vie, tout leur passé, dans un éclair, 
Le dernier geste de Bismarck, dressé sur son séant, a été de se couvrir les yeux de ses deux mains.

Au seuil de la mort, a-t-il eu la vision de son crime ?

 

CHARLES FRÉMINE

 

1 Ces vers sont extraits du poème « Les Tuileries » que Charles a lui-même écrit et publié dans La Jeune France – 1878

La Seine charriait sous un ciel gris d'hiver ;
On avait amarré les barques sur les rives,
Et les glaçons vitreux s'en allaient vers la mer,
Soulevant leur dos mort au-dessus des eaux vives.

Et les lavoirs déserts et les grands bains flottants
Sous le choc des glaçons rendaient de sourds-murmures,
Et les arbres, en proie aux souffles haletants
Dans la nuit plus épaisse embrouillaient leurs ramures.

Pensif, le long des quais, je marchais au hasard,
Tandis qu'au bord du Fleuve, au milieu des bruines,
Le Palais où vingt ans, muet, régna César,
Dans l'ombre amoncelait l'horreur de ses ruines.

Ainsi qu'on voit planer sur les donjons croulants,
À la chute du jour, un vol d'oiseaux funèbres,
L'essaim des souvenirs tragiques et sanglants
Sur ces murs calcinés planait dans les ténèbres.

Et je revis l'Histoire, — et Paris affamé,
Pâle sous les éclairs des sombres canonnades,
Et la flamme rougir l'azur du ciel de Mai,
Et les Arts qui pleuraient au pied des colonnades.

Mais plus haut que l'éclat du sinistre brasier
Et des gerbes de feu par le vent remuées,
La Justice aux yeux clairs et froids comme l'acier
Regardait le Palais brûler dans les nuées.


 
Article proposé par Christophe Canivet
 
 

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