L'enseignement mutuel introduit en France à la Restauration a connu son heure de gloire dans le département de la Manche, notamment à Saint-Lô. Il était dispensé dans l'école de garçons de la rue Havin. Laquelle a longtemps gardé le nom "d'école mutuelle" bien que ce mode d'enseignement ait été abandonné.
Ce système, mis au point en Angleterre par André Bell, un prêtre anglican, et Joseph Lancaster, un membre de la secte des Quakers, a les faveurs de Carnot qui crée à cet effet, la Société pour l'instruction primaire. Les principes sont simples. Le maître n'enseigne pas. Il se contente de diriger le fonctionnement de la classe et d'instruire ceux qui enseignent appelés moniteurs. Dans ce système, le nombre d'élèves rassemblés dans une même classe n'a pas de limites. Ce mode déclinera au profit du mode simultané pratiqué par les Frères des Ecoles chrétiennes qui allient l'enseignement direct du maître et le caractère collectif de la transmission du savoir.
L'enseignement mutuel, dicté avant tout pas des impératifs économiques, se révèle être davantage adapté au milieu urbain qu'au milieu rural. Des écoles mutuelles ont été créées dans les villes. Caen eut la sienne, dans l'enceinte de l'Hôtel de ville ; Saint-Lô, également. Ici, comme ailleurs, le mode mutuel a été abandonné sans savoir exactement à quel moment.
Il a fallu la rencontre et la lecture attentive du Journal de Charles Feuillet-Despallières pour apporter la précision recherchée. Charles Feuillet-Despallières, l'oncle d'Octave Feuillet, le romancier saint-lois bien connu, a rédigé un journal personnel de 1824 à 1851. A la date du 14 décembre 1824, il se trouve quelques lignes "éclairantes". Le diariste se joue des mots "raillerie mise à part" en faisant un habile parallèle entre l'installation de réverbères et l'abandon de l'enseignement mutuel. Il est vrai que son journal n'était pas, a priori, destiné à être publié !
Journal de Charles Feuillet-Despallières, Tome 1, p. 132.
"Raillerie à part pour le coup. les lumières augmentent dans notre ville, au moins à ma connaissance. Voilà trois réverbères de plus en 8 jours. Courage ! messieurs de la police! C'est un pas fait en avant; ne vous découragez pas. En parlant de lumières, pourquoi donc le local destiné à l'enseignement mutuel et ensuite abandonné si généreusement, par décision de notre conseil municipal, aux frères ignorantins, n'est-il pas encore occupé ? N'y aurait-il plus assez d'éteignoirs pour nos chandelles ?"
C'est ainsi que le journal nous apprend que la ville se dote d'éclairages performants en n'oubliant pas de mentionner l'intérêt que cela peut représenter, on pas pour les citadins, mais pour les policiers ! Mais surtout, que le mode mutuel d'enseignement dispensé dans l'école de la rue Havin, est abandonné au profit du mode simultané.
Yves Marion
10 février 2019