Les orages de la Révolution ayant bouleversé ou détruit presque tous les établissements d’instruction publique, soit scientifique, soit littéraire, on sentit bientôt la nécessité de remplir sans délai ce vide par de nouvelles institutions : ainsi fut fondée l’École centrale des travaux publics, un concours étant ouvert dans les principales villes de France et permettant de réunir près de 400 élèves
Gaspard Monge (1746-1818), l’un des fondateurs de l’École Polytechnique. |
L’École Polytechnique fut créée dans ces temps où les écoles spéciales des services publics, tout à fait désorganisées, avaient vu fuir de leur sein les professeurs et les élèves, les uns pour se soustraire à la persécution, les autres pour aller servir dans nos armées. La France, attaquée par l’Europe entière, réclamait le secours d’ingénieurs habiles, et était menacée de n’en plus trouver.
Ce fut dans de telles circonstances que des hommes également distingués par leurs vastes connaissances et par un patriotisme éclairé, conçurent le projet de créer une école qui remplaçât celle qu’on venait de détruire. Bientôt toute l’élite de la jeunesse se réunit à la voix de tels maîtres qui se dévouaient si généreusement à son instruction ; et trois mois s’écoulèrent à peine, que déjà cette institution avait pris un caractère assez imposant pour forcer les ennemis mêmes des sciences à respecter l’asile où elles s’étaient réfugiées.
L’établissement de l’Ecole Polytechnique eut pour objet de donner à des jeunes gens ayant fait preuve de dispositions et d’intelligence, toutes les connaissances positives nécessaires pour ordonner, diriger et administrer les travaux de tous les genres, commandés pour l’utilité générale ou particulière.
Ces connaissances sont de deux genres : les unes relatives aux formes et au mouvement des corps : elles sont de nature à être acquises par le raisonnement ; elles exigent, ou l’emploi du calcul, ou l’usage de la règle et du compas ; elles font partie des mathématiques. Les autres ont rapport à la composition même des corps, aux propriétés des molécules qui les composent : elles s’acquièrent par l’expérience dans les laboratoires, dans les ateliers, dans les lieux d’exploitation et de fabrication ; elles font partie de la physique.
Lazare Carnot (1753-1823), l’un des fondateurs de l’École Polytechnique. |
Dans un système général d’instruction publique, comprenant des écoles primaires pour la lecture et l’écriture ; des écoles secondaires pour l’enseignement des langues et des éléments des sciences physiques et mathématiques, on conçoit qu’un premier choix parmi les enfants qui apprennent à lire, à écrire et à compter, ferait connaître ceux qui montrent le plus de dispositions pour le calcul ; que ces mêmes enfants, continuant leur instruction dans les écoles secondaires, s’y classeraient suivant leurs talents.
Monge avait proposé d’ajouter aux écoles secondaires un troisième degré d’enseignement pour les sciences physiques et mathématiques ; il avait depuis longtemps conçu le projet d’une école supérieure, dans laquelle on n’aurait admis que les élèves les plus distingués des écoles secondaires. Le plan général de cette école est exposé dans un écrit inédit de Monge, sans date, de 1791 ou 1792, et dans une brochure du même auteur, de vingt-huit pages, imprimée en septembre 1794, sous le titre : Développements sur l’enseignement adopté pour l’École centrale des travaux publics.
Quoique l’instruction publique n’ait pas été organisée sur les grandes bases proposées en septembre 1791 par le prince de Talleyrand, et en avril 1792 par Condorcet, on avait senti le besoin de former sur-le-champ des ingénieurs des services publics ; et le plan de Monge, conçu et projeté pour un système général d’instruction publique, fut adopté par le gouvernement dans le but spécial de former des ingénieurs civils et militaires.
Les travaux qu’une grande nation comme la France fait exécuter, soit pour sa défense, soit pour l’amélioration de son territoire, empruntent le secours de presque tous les arts et de toutes les sciences, et ne pourraient être confiés à des sujets pris au hasard ou dépourvus de lumières. Ce n’est que par des études préparatoires très étendues qu’on peut se mettre en état de diriger ces travaux. Cette vérité étant bien sentie par plusieurs membres du gouvernement, qui faisaient eux-mêmes partie des corps savants, ils substituèrent aux diverses écoles civiles et militaires une école unique de quatre cents élèves, choisis d’après leur capacité, sans distinction de naissance ni de fortune.
Le premier rapport prononcé à la tribune de la Convention nationale, sur le but de cet établissement, date du 11 mars 1794 (21 ventôse an II) portant établissement d’une commission des travaux publics, et est ainsi conçu : « Cette commission s’occupera de l’établissement d’une école centrale des travaux publics, et du mode d’examen et de concours auxquels sont assujettis ceux qui voudront être employés à la direction de ces travaux. »
Après une révolution qui avait ébranlé l’Europe, qui avait fait disparaître plusieurs gouvernements, on avait senti le besoin de ramener les esprits à la culture des sciences. Les mêmes hommes qui avaient coopéré à l’établissement d’une école centrale des travaux publics, contribuèrent puissamment à la création d’autres institutions non moins utiles, telles que l’agence des mines, une école normale, le bureau des longitudes, le conservatoire des arts et métiers, les écoles centrales et les écoles de médecine.
Environ six mois après le décret du 11 mars 1794, qui créait une commission de travaux publics, un second décret de la Convention, du 28 septembre 1794 (7 vendémiaire an III) et relatif à l’école centrale, en fixait l’ouverture au 30 novembre suivant (10 frimaire an III). Plusieurs circonstances en retardèrent l’ouverture jusqu’au 21 décembre. Le second décret, présenté par Fourcroy, membre du gouvernement, était précédé d’un rapport, et suivi de l’écrit cité plus haut : Développements sur l’enseignement, etc.
D'après une disposition de ce dernier décret, un concours fut ouvert dans vingt-deux villes principales de France, et l’on admit trois cent quatre-vingt-onze élèves qui fournirent les preuves de leur instruction et de leur intelligence, dans un examen sur l’arithmétique, les éléments d’algèbre et la géométrie.
Élève de l’École Polytechnique en 1812 |
La première organisation, sous le titre d’École centrale des travaux publics, date du 26 novembre 1794 (6 frimaire an III). Elle fixe le mode d’enseignement, qui a toujours eu deux branches principales, les sciences mathématiques et les sciences physiques. Les premières comprennent : 1° l’analyse avec ses applications à la géométrie et à la mécanique ; 2° la géométrie descriptive, qui se divise en trois parties, géométrie descriptive pure, architecture et fortifications, et à laquelle se trouve joint le dessin, considéré soit comme un moyen peu rigoureux, il est vrai, mais souvent le seul possible de décrire les objets.
Les sciences physiques renferment la physique générale et la chimie. Ce qui distingue cet enseignement de tous ceux qui avoient été pratiqués jusqu'alors, c’est que les élèves travaillent dans l’intérieur même de l’École ; qu’ils sont distribués par salles pour le dessin de la géométrie descriptive et l’étude de l’analyse ; qu’ils ont des laboratoires pour s’exercer aux manipulations chimiques ; et qu’ils exécutent de leurs propres mains les dessins, les calculs et les opérations chimiques qui ont été l’objet des leçons orales des professeurs.
Ce mode d’enseignement est le caractère distinctif de l’École Polytechnique. À l’origine, la durée des études pour chaque jour était de neuf heures ; à savoir : de 8 heures du matin à 2 heures de l’après midi, et de 5 heures du soir à 8 ; et celle du cours entier devait être de trois ans. Comme les élèves avaient été admis à la fois avec une instruction à peu près égale, et qu’il fallait pouvoir les distribuer en trois classes pour suivre chacune des trois années d’étude, on imagina de faire des cours préliminaires dans lesquels chaque professeur présenta le tableau concis de la science qu’il avait à traiter ; il en résulta un ensemble de programmes précieux et pour les élèves et pour les professeurs eux-mêmes.
À la fin de ces cours préliminaires qui durèrent trois mois, du 21 décembre 1794 au 21 mars suivant, les élèves furent divisés en trois classes, qui suivirent alors les cours institués pour chacune d’elles ; et chaque classe ou division fut partagée en brigades de vingt élèves : chaque brigade eut sa salle d’étude et son laboratoire de chimie, et elle fut présidée par un chef capable d’entretenir l’ordre et de lever les difficultés que les élèves rencontraient dans leur travail.
D'après la marche habituelle que devait suivre l’École, il fallait choisir ces chefs parmi les élèves les plus instruits ; mais, à l’origine, ce mode d’élection n’était pas praticable ; un certain nombre de jeunes gens du plus grand mérite reçurent une instruction particulière dans une école préparatoire, et se mirent en état d’exercer les fonctions de chefs.
Pour former cette école préparatoire qui fut ouverte vers le milieu de novembre 1794, on choisit une maison qui était à la disposition du Comité de Salut public, et qui renfermait un laboratoire de chimie dirigé par Guyton, un atelier pour la fabrication des lames de sabre, et plusieurs salles très vastes. Monge, à qui l’École Polytechnique doit sa création, y donna des leçons de géométrie descriptive et d’analyse appliquée à la géométrie ; il fut aidé dans ce travail par Hachette, qu’il avait choisi pour son adjoint ; Jacotot, proviseur au lycée de Dijon, et Barruel, auteur des Tableaux de physique et bibliothécaire de l’École Polytechnique, y firent des cours de chimie et de physique.
Costume de l’École Polytechnique en 1865 |
Le 21 mars 1795 , époque à laquelle l’École Polytechnique fut mise en activité, les vingt-cinq élèves les plus distingués de l’École préparatoire furent nommés chefs de brigade. Il ne suffisait pas d’avoir des hommes capables de transmettre l’instruction, il fallait encore préparer les portefeuilles des professeurs de géométrie descriptive. Chacune des parties de cette science, telles que la géométrie descriptive pure qui n’avait jamais été enseignée publiquement, la coupe des pierres, la charpente, la perspective, les ombres, l’architecture, les travaux civils et la fortification, exigeait une collection de dessins et d’épures gravés.
Une réunion des meilleurs dessinateurs de Paris, dirigée par les instituteurs, s’occupa sans relâche de la confection des dessins qui devaient servir de modèles et être distribués à la suite de chaque leçon : en même temps des artistes très distingués moulèrent en plâtre des modèles de coupe des pierres et d’architecture. Tous ces établissements provisoires mirent en état de fixer l’ouverture des cours préliminaires au 21 décembre 1794, conformément à son organisation du 26 novembre précédent.
(D'après « Éphémérides universelles, ou Tableau religieux, politique, littéraire, scientifique et anecdotique, présentant, pour chaque jour de l’année, un extrait des annales de toutes les nations et de tous les règnes, depuis les temps historiques jusqu'au 1er janvier 1828 » (Tome 3) paru en 1828 et « Correspondance sur l’École impériale Polytechnique, à l’usage des élèves de cette école » (Tome 1) édition de 1813)
Publié / Mis à jour le jeudi 21 mars 2019, par La France Pittoresque