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mercredi 14 octobre 2020

Guillaume POSTEL

Guillaume Postel
Né à Barenton en 1510, mort à Paris en 1581, après avoir traversé le XVIe siècle en guerre, l’Europe et l’Asie en feu, il a eu le destin d’un savant de génie. Toujours très savant, et parfois très dément, il finit par s’apprivoiser à la sagesse.

 
Il a suscité l’admiration, l’envie, le rire, la pitié, et toujours l’étonnement. Il a connu la gloire, la peur, le succès, la prison, et l’oubli. Ses disciples firent de lui un personnage mythique, ensuite on n’en parla plus.

Il reste connu des bibliophiles qui, dans tous les temps, ont acheté à prix d’or ses ouvrages édités à faible tirage.  
 
Mais ce prophète de la Concorde Universelle et de Nations Unies, cet apôtre d’un œcuménisme militant, ce mystique de la féminité et du Couple régénéré ne méritait-il pas mieux qu’une place mineure dans les magasins pittoresques et les boutiques fantasques des bibliothèques ésotériques ?



La salle était pleine à craquer. Les étudiants s’entassaient jusque sur l’embrasure des fenêtres. Évidemment, pas de place pour tous. Et des bruits couraient...

Resterait-il ? Serait-il démis ?... Il avait déjà eu maille à partir avec la Sorbonne. Ses cours n’étaient pas très ortho­doxes, ses publications non plus : les étudiants faisaient donc foule. On rappelait aussi la grève des cours de l’année 39, lorsque le Gouvernement avait oublié de payer ses professeurs.

Il entra : c’est à peine, à cause de l’affluence, s’il put gagner sa place. Il eut un geste d’agacement, demanda aux étudiants d’évacuer la salle et de se rassembler dans la cour. Rumeurs, tumultes, rassemblement. La fenêtre s’ouvrit. Silence. Il apparut par la fenêtre et devant la multitude de ses étudiants rassemblés en plein air, il commença son cours magistral : « Messieurs, je vous parlerai de la grandeur de la France et de sa vocation à faire de l’Europe une seule nation ».

Sa voix tombait, grave, sur ce silence attentif et pesant.

Ce n’est pas une scène de rentrée universitaire en Sorbonne, de nos jours. Nous sommes en 1552, à Paris, au collège royal. Le professeur Postel, qui venait de Dijon, n’enseignait que depuis quelques mois dans la capitale. Mais sa réputation n’était pas à faire : d’étranges bruits couraient sur lui ; on disait qu’il avait, par voix du ciel, révélation du futur et que le dernier Roi de France — le grand François 1er - avait écouté, en 1542, les larmes aux yeux, ses théories sur le destin surnaturel de la France. Il lui aurait promis réaliser les instructions divines.

Ses plus intimes avaient lu l’Histoire des expéditions faites par les Gaulois depuis la France jusques en Asie et l’Apologie contre les détracteurs de la Gaule, publiées en 1552, œuvres dans lesquelles il défendait les idées universalistes et nationalistes qui avaient ému le Roi de France. Ses très intimes savaient qu’il préparait une œuvre sur la promotion de la femme dans la société et dans l’histoire : elle vit en effet le jour en 1553 et s’intitulait : Les très merveilleuses victoires des femmes du nouveau monde et comment elles doivent à tout le monde par raison commander. Ce fut un scandale, un de plus sur les bancs de la très chaste et peu calme Université.

Il dut s’enfuir de Paris. Sans regret, car il avait encore des ennuis financiers. L’État (préparait-il une nouvelle guerre ?) recommençait à ne plus payer ses professeurs. Ses démarches auprès de Marguerite, sœur du Roi Henri II, étant restées sans effet, il écrit au Cardinal Odet de Chatillon qu'« il serait dans l’obligation, s’il ne recevait du trésor public la rétribution à laquelle il avait droit, de faire payer ses auditeurs ». Simple menace : il quitta Paris et courut sur les routes d’Europe.

Comme dans sa jeunesse. Comme les Vieux Gaulois, qui firent à plusieurs reprises le tour du monde...

UN AMBASSADEUR DE LA CULTURE OCCIDENTALE...


Postel rêve sur la route qui le conduit de Paris à Besançon. Pour autant que la police, à ses trousses, le laisse rêver.

Le voici redevenu enfant de la balle, comme autrefois, piétinant la poussière des chemins, entre deux arrêts et quelques heures de cours dans chaque ville de Faculté traversée.

Quarante ans en arrière : La Dôlerie, à Barenton, en Normandie. C’est là qu’il est né. Petit garçon, dans son village. Mais bientôt il n’a plus ni père ni mère, et il faut gagner sa vie. Il étudie, il assimile à une vitesse prodigieuse, et il court les routes.

Encore adolescent, il est maître d’internat ou quelque chose de semblable, dans un établissement d’Île-de-France. Il punit, c’est la coutume, c’est sa seule arme. Mais d’un maître adolescent on supporte mal les sanctions : il échappe à un empoisonnement. Une autre fois, il voit une ombre menaçante s’approcher de son lit. Une main s’abat plusieurs fois sur le grabat, traversé de plusieurs coups de couteau. Heureusement, il venait de se lever. Encore une vengeance d’élève puni. Drames de la vie de « pion ». Il vint à Paris. Il est bien habillé et il a quelque argent : il a donc des amis... qui, une nuit d’hiver, s’emparent de ses vêtements et de son argent et, nu et désargenté, le laissent dans la rue. Nu et désargenté, il tombe malade. Il entre à l’hôpital et y reste deux ans. Après quoi, il part en Beauce faire les moissons : il faut vivre.

Mais il n’a que vingt ans, la vie est belle ; il revient à Paris, étudie l’hébreu et le grec. Il veut être Amyot et Ramus, ou rien. Il ne sera encore ni Amyot ni Ramus : la hargne de son collègue Vinet l’empêche d’être docteur, malgré sa thèse contre Bucer et les Sacramentaires : un sujet sur mesure ! Jalousie de chers collègues... Il lui faut des protecteurs à l’extérieur. D’abbé en chanoine, de chanoine en évêque, il arrive jusqu’à la Cour. C’est la gloire.

Le voici chargé de mission en Orient par le Roi François Ier. Il se rend en Égypte, au moment où les Turcs abandonnent leur projet de canal entre le Nil et la Mer Rouge. On le trouve à Constantinople, en rapport avec des Juifs, s’initiant à la Kabbale, partout et par tous admiré pour, sa facilité à assimiler les langues. Protégé par l’ambassadeur de France auprès du Sultan, il assiste à des réceptions, à des cérémonies, a des dîners officiels : autant de scènes exotiques qui fourniront leurs couleurs à la République des Turcs, publiée à son retour en Occident et dédiée à François Ier et à sa sœur Marguerite. Cette fois, il est inscrit sur la liste des professeurs du Collège Royal, à deux cents écus d'or par an... que le Roi oubliait de payer. Son collègue Danès proclame, pour son compte, la grève illimitée des cours. Postel y songe, lui aussi - heureusement, la mort inopinée d’un collègue lui permet de bénéficier d’un transfert de paiement. Prudent, il préféra de ne pas attendre la mort d’un autre pour toucher ses prochains gages : dès qu’il fut payé il donna sa démission.

Car il comptait sur la protection du Chancelier Poyet... qui tomba bientôt en disgrâce. Ce fut un choc qui le délivra pour un temps du goût des intrigues de Cour.

Et il se consola des déboires des autres par la philosophie...

Il rêve à nouveau d’Orient : non qu’il veuille y revenir en voyageur ou en collectionneur de manuscrits. Il a d’autres ambitions : il veut refaire l’unité politique et religieuse de Europe divisée. Le Roi de France, descendant légitime du fils aîné de Noë, a le devoir et le pouvoir de rétablir sous son sceptre cette unité compromise. Quant à lui, il s’emploiera à la conversion des Infidèles. Il veut revenir en Orient en missionnaire. Il gagne Rome à pied, se fait l’élève d’Ignace de Loyola, devient novice dans la Compagnie de Jésus, puis prêtre apostolique.

Mais ses idées gallicanes et sa conception démocratique du gouvernement de l’Église ne s’accordaient guère avec les vues d’Ignace de Loyola : il reçoit un blâme devant la Compagnie rassemblée, et finit, à la grande joie des Espagnols qui voyaient assez mal ce gallican, par être « autorisé » à s'en aller.

Démis de l’ordre, il ne s’en va pas. Il reste à Rome. Il passe quelque temps en prison, quitte la prison pour l’hôpital où nous le retrouvons à Venise. C’est là qu’il entra dans d'intimité d’une garde-malade, la Mère Jeanne, mystique et visionnaire, qui se disait inspirée du Saint-Esprit pour la régénération du genre humain. Il embrasse sa cause, ardemment comme d’habitude. Il décide de faire connaître ses prophéties. Ainsi naquirent les très merveilleuses victoires des femmes du nouveau monde, ainsi que la Virginie Venetiana, la Vierge Vénitienne écrite par ce polyglotte en italien. Après ces aventures italiennes, il reprend son dessein de conversion des Infidèles et part pour l’Orient.

Ce pèlerinage est pour lui une quête mystique : il faut retrouver là-bas les textes orientaux de la Bible, pour confondre les hérétiques, pour convertir les Juifs, pour amener les Musulmans au Christianisme. Pèlerinage œcuménique si l’on veut animé par le besoin ardent, violent, obsessionnel, de l’unité. Il découvrit des textes et il découvrit en même temps que sa pauvreté ne lui permettait pas de se procurer ces manuscrits précieux. Le voici donc à nouveau à la recherche d’un protecteur. Il le trouva en la personne de Gabriel d’Aramont, ambassadeur du Roi de France, qui avait suivi Solinan au cours de la guerre contre les Perses et s’était illustré en Syrie avant de regagner Constantinople. D’Aramont accepte dans sa suite le chasseur de documents. Il retrouve là Thevet et Pierre Gilles, autres orientalistes français, avec lesquels alternent l’amitié et les querelles.

En même temps qu’il chasse les manuscrits, il se livre à des enquêtes sociologiques et ethnologiques. Il observe les mœurs des Samaritains, des Maronites, des Druses (dont l’origine est, dit-il, Dreux, la ville des Druides), Jérusalem, Constantinople. Il revient dans la ville turque avec un chargement de livres précieux. C’est de là qu’il rejoint Paris, via Venise et Dijon, après neuf ans d’errances sur les pistes d’Orient. La suite, nous la connaissons, il ne vient dans la Capitale que pour y connaître la gloire et l’ostracisme.

Connu, trop connu, inquiétant, inquiet, inquiété, tel est l’homme qui, en cette année 1553, chemine à nouveau sur les routes d’Europe, révélant à qui veut l’entendre qu’il est le fils spirituel du Christ et de la Mère Jeanne, le prophète destiné à révéler au genre humain les voies de la concorde et de l’unité rétablies.

POSTEL - FIGARO...


Avec une menace d’expulsion qui pèse sur lui partout où il s’arrête, et une menace d’arrestation qui pèse sur lui partout où il a peur de s’arrêter, il vient à Besançon, sollicite un poste d’enseignement et l’obtient. Il le refuse aussitôt et s’enfuit à la dérobée. C’est qu’il était suspect d’hérésie : il a senti la menace et franchi la frontière. Il vient à Bâle, mais n’est guère plus à l’aise chez les hérétiques. Nouvelle frontière à traverser : il est à Venise, une fois de plus, où le rappelle le souvenir de la Mère Jeanne. Il quitte la ville pour franchir une nouvelle frontière. Il est à Vienne, en Autriche ; mais là encore le soupçon d’hérésie le poursuit.

On ne peut s’empêcher de songer à un autre intellectuel traqué, deux cents ans plus tard, courant de frontières en frontières, les inquisiteurs de tous bords à ses trousses, sous les injures de ses ennemis et les railleries de ses faux amis : le destin de Postel préfigure celui de Jean-Jacques Rousseau. Chez l’un et chez l’autre, le même goût du défi paradoxal, de la sincérité un peu folle à force d’entêtement. Incapables de s’immiscer à un parti, ne suivant que leurs propres idées, partout connus, partout en exil : Postel, Jean-Jacques, l’Étranger.

Au passage de la frontière austro-italienne, on met la main sur lui. On le reconnaît. C’est bien lui, l’assassin. Le Fran­ciscain qui vient de tuer un moine. Il se débat. Il n’est ni Franciscain ni criminel.

L’inconvénient d’avoir un sosie.

Il est néanmoins emprisonné. Un jour après, il s’évade. Il rejoint Venise où le guette à nouveau la prison. Il apprend que ses œuvres ont été déclarées néfastes à la foi, avec interdiction aux catholiques de les lire. Indignation. Il fait appel. Il ne sera pas condamné au bûcher, mais au ridicule : on le déclare dément. Il s’indigne de plus belle : il préfère la mort à une telle déconsidération. Il échappe à la prison pour tomber à l’asile. Il reste indigné : il ne fait qu’aggraver son cas ; décidément, il est fou. Il se justifie par écrit et publie la Vierge Vénitienne, le plus fou de ses ouvrages. Il est un danger public : il tombe de l’asile à la prison. Ravenne, Rome... des cachots. Il traîne de prison en prison. A Rome, il tente de s’évader, se casse un bras, est repris, condamné à un régime plus sévère. Le Pape Paul IV en a assez de lui et décide de le faire mourir. Il attend la mort. Elle vient à son secours pour le débarrasser du Pape qui meurt quelques jours après. Une insurrection éclate à Rome à la mort du Pape. La foule assaille les prisons, force les portes et libère les prisonniers. Postel est libre... et de nouveau menace. Des événements, des hasards, des absurdités : c’est ce que Postel-Figaro appelle le Destin.

Et les routes d'Europe défilent, et les noms de villes passent et disparaissent : Bâle, Baden, Bâle, Augsbourg, Trente, Augsbourg, Lyon. Après les vagabondages, les prisons. Arrêté à Lyon, il est transféré à Paris, enfermé en l’Abbaye de Saint-Martin-des-Champs. Un peu de repos. Il était temps.

Sa vie devenait monotone à force de tumulte.

LE CALME DES SOIRS D’ÉTÉ...


Sa vieillesse eut le calme des soirs d’été. Une prison dorée fut son asile. Après un premier séjour à Saint-Martin-des-Champs, il récupère ses ouvrages et parle de cosmographie ; mais ses cours restent un prétexte à exposer ses visions.

Catherine de Médicis, à une époque où venait de s’achever la première guerre de religion, ne tenait pas a voir surgir à nouveau les fers et les feux. Postel est reclus en son couvent : prison dorée, car le Prieur reçut l’ordre de le traiter « en hôte plutôt qu’en prisonnier ».

Bientôt il obtint l’autorisation de sortir en ville, à condition d'avoir résidence au monastère. Sa renommée s’accroît : Charles IX le reçoit à la Cour et l’appelle « son philosophe ». Catherine de Médicis veut faire de lui le précepteur de son fils François, duc d'Alençon. Il se récuse, par sagesse.

Il est à nouveau professeur au Collège Royal après quelques traverses. C’est après avoir partagé une vie tranquille entre ses cours et le couvent qu’il mourut, en 1581.

Telle est la vie de cet intellectuel du XVIe siècle. 

Association des Amis de Guillaume Postel

LA VIE

DE

GUILLAUME POSTEL

par M. DUBOIS

Assistant à la Faculté des Lettres de Bordeaux


Supplément au N° 249 de Mars 1967 de la « Revue de l’Avranchin » (coll Yves Marion).

 

Article proposé par Yves Marion






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