Guizot,
en faisant adopter la loi du 23 juin 1833 à laquelle son nom reste attaché,
établit les bases d’une école primaire en France placée sous la vigilance de
l’État. La loi Guizot créait l’enseignement primaire supérieur (article
premier) : « l’instruction primaire est élémentaire ou supérieure[1] » : une école primaire supérieure devait
être créée dans toutes les préfectures ainsi que dans les villes de plus de
6 000 habitants. « Cette loi est vraiment la charte de l’instruction
primaire », affirmait, non sans quelque raison, son promoteur.
La
Seconde République, du moins dans ses débuts, poursuivit l’œuvre
entreprise[2].
La constitution du 4 novembre 1848 retenait bien les principes de l’obligation
scolaire et de la gratuité mais confirmait la liberté d’enseignement. Les
élections du 13 mai 1849 consacraient les partis conservateurs et, parmi eux,
le parti catholique qui comptait 450 députés sur 750 sièges. Un royaliste,
Dupin, présidait la législative, tandis que Louis-Napoléon, chef équivoque d’une
république agonisante, préparait, par ses messages, une seconde dictature. Née
des influences l’ultramontaines, soutenues par le parti « Ultra », une
nouvelle théocratie s’affirmait. Adolphe Thiers, avec l’éloquence qui lui est
reconnue, manifestait une profonde aversion pour le corps enseignant. A la
commission chargée du projet de loi sur les écoles, en 1849, il fulminait :
« J’aime mieux l’instituteur sonneur de cloches que l’instituteur
mathématicien » « … Le remède le plus efficace serait assurément de
confier l’instruction primaire au clergé… ». On ne pouvait être plus
explicite. Sa défiance à l’égard des instituteurs laïques était à son comble. Il
affirmait : « … Je suis prêt à donner au clergé tout l’enseignement
primaire… »[3]. Le
futur fossoyeur de la Commune, était ouvertement opposé à l’école
primaire : « Oui, je veux restreindre cette extension démesurée de
l’enseignement primaire… Je soutiens que l’enseignement primaire ne doit pas
être forcément et nécessairement à la portée de tous… » Le triomphe fut consommé,
d’abord avec la loi Parieu (11 janvier 1850), puis avec la loi Falloux, du
nom du député du Maine-et-Loire, le comte Alfred de Falloux (15 mars 1850).
Avec la première, il entrait dans les prérogatives des préfets de révoquer les
instituteurs et les institutrices qui soutenaient des idées républicaines. La
loi Falloux, elle, défendue par l’abbé Dupanloup, Montalembert et Thiers,
prônait la liberté d’enseignement et accentuait le rôle de l’église. Elle
autorisait également la possibilité d’ouvrir des écoles pour les filles, mais
seulement si les ressources locales le permettaient. Ainsi fut votée la
« loi qui porte un masque » selon l’expression de Victor Hugo pour
assurer les fondements de ce qui allait constituer « l’enseignement
libre ».
Cette
même loi Falloux, ignorant les écoles primaires supérieures, entérinait leur
suppression, en quelque sorte, par prétérition. Certes, en 1852, elles allaient
être à nouveau mentionnées. Mais il n’en fallut pas davantage pour qu’une
conception qui n’avait guère rencontré beaucoup d’empressement, fût, pour ainsi
dire, abandonnée. Cette loi, en fait, venait ruiner toute l’œuvre scolaire
antérieure et ramenait l’enseignement primaire à ce qu’il était avant 1830.
La
priorité se trouvait de nouveau accordée aux collèges. Une partie des
programmes des écoles primaires supérieures furent intégrés aux enseignements
de l’école primaire. Mais ils n’en demeuraient pas moins facultatifs ! La
plupart des écoles primaires supérieures existantes avaient été annexées aux
collèges ou avaient été dissoutes.
Pourtant
l’idée continua de cheminer dans les esprits. Victor Duruy, le très libéral ministre
de l’Instruction publique[4]
d’un Empire qui, pour feindre de cacher sa nature, s’ajoutait le qualificatif
de « libéral », lors d’une visite à Coutances, prit la mesure de la
nécessité de créer, au sein des lycées et collèges, un enseignement spécial à scolarité réduite, aux programmes
utilitaires orientés vers des applications économiques et pratiques[5].
Voilà
ce que nous écrivions dans l’ouvrage consacré à l’histoire de cet enseignement :
Quand les enfants du peuple avaient leur école, publié en 2012. Jusqu’à
ce que Christophe Canivet retrouve, en feuilletant les journaux de l’époque,
notamment le Journal de l’arrondissement de Valognes, un article sur l’enseignement
secondaire spécial dispensé au lycée de Coutances. Il constitue un fort intéressant
complément aux Notes et souvenirs du Ministre.
Yves Marion
Le Journal de
l'arrondissement de Valognes, 26 août 1864
et autres journaux du département
Lycée Impérial de
Coutances.
Année scolaire 1864-1865.
Enseignement secondaire spécial
Cet enseignement qui existait, de
fait, depuis longtemps déjà, au lycée de Coutances, y a reçu, pendant la
dernière année scolaire, de nouveaux développements et une organisation
entièrement conforme au but des nouveaux programmes soumis au contrôle de
l'expérience. C'est un enseignement sérieux et étendu, qui ne laisse de côté
que le grec et le latin et qui se préoccupe surtout de l'utilité pratique. « Nous
laisserons vient de dire le Ministre dans une circonstance solennelle, nous
laisserons au lycée classique la théorie, qui forme les esprits élevés ou
puissants dont nous avons besoin pour marcher en avant ; mais nous placerons au
collège spécial les applications, pour préparer là des industriels, des
agriculteurs et des négociants, qui sachent tout ce que la science peut donner
de force productive à l'industrie et à l'agriculture, de facilités au commerce,
de bien-être à la société. »
L'essai complet qui vient d'être
fait de cet enseignement a été des plus satisfaisants ; et il parait hors de
doute qu'on peut, en 4 ou 5 années, à l'âge qu'on suppose, préparer des jeunes
gens à un grand nombre de carrières pour lesquelles l'étude des langues
anciennes n'est pas indispensable.
Pour faire bien comprendre, au
reste, le but et l'importance de ce qui s'appellera peut-être bientôt
l'enseignement moderne, il suffira d'indiquer aux familles les principales
écoles ou carrières auxquelles il peut conduire. Ce sont :
–
École centrale (Paris).
–
Id. d'Arts et MétTers (Angers).
–
Id. de Mineurs (St-Étienne, Alais).
–
École Navale.
–
Id. d'Hydrographie : capitaines au long-cours et
au cabotage.
–
Id. de Cavalerie (Saumur).
–
Id. d'Agriculture.
–
Id. de Vétérinaires (Alfort).
–
Carrières commerciales de tout genre.
–
Administration des télégraphes.
–
id. des chemins de fer.
–
id. des ponts-et-chaussées.
–
id. des postes
–
id. des contributions indirectes.
–
id. des douanes et des tabacs.
–
id. des finances : perception, recettes
publiques ou privées, économats.
–
Administration du cadastre.
–
Emplois de géomètres-experts, d'agents
d'affaires.
–
id. d'architectes
–
id. des vérificateurs des poids et mesures,
–
Notariat
–
Greffe des tribunaux, des justices de paix et
des mairies.
–
Charges d'avoués,
–
id. d'huissiers.
–
Fonctions de professent pour l'enseignement
spécial, d'instituteurs.
–
École normale primaire.
–
Écrivains pour toutes sortes d'administrations
ou bureaux, etc.
Article trouvé par Christophe Canivet
[1] Souligné par nous.
[2] Philippe VIGIER, 1848, Les français et la République,
Paris, Hachette, collection « La vie quotidienne », 1998, pp. 19-20.
[3] Les débats de la Commission de 1849. Discussion
parlementaire et la loi de 1850, par H. de Lacombe, 1899, p.34
[4] Ministre de l’Instruction du 23 juin 1863 au 24 mai 1869
[5] Victor DURUY, Notes et souvenirs, Paris, Hachette, 1901,
t.1, pp. 167-168, cité par Antoine PROST, L’enseignement en France (1800-1967),
Paris, Armand Colin, Collection, « U », 1968, pp. 66-67.