Les historiens de l’école font souvent remarquer que les écoles de charité ou petites écoles n’étaient soumises à aucun règlement uniforme ni pour l’organisation des classes ni pour l’enseignement. Ecoles de fondation, c’était en général le contrat de fondation qui précisait les règles à suivre. Cependant, à l’observation, ils présentent presque tous les mêmes prescriptions. Pour donner une idée de ce qu'étaient ces règlements, en voici un dont l'original était conservé aux archives de la Manche. Il fut donné le 15 mars 1750 par le marquis de Matignon aux « écoles de charité de garçons de Bricquebec et dépendances », et approuvé le 25 mars de la même année par l'évêque de Coutances, Mgr Léonor Gouyon de Matignon.
Ce règlement est extrait de l’article
« Normandie » du Dictionnaire de pédagogie et d’instruction
primaire de Ferdinand Buisson, édition de 1889, partie 1, tome 2, p.
2101-2117. Il a été relevé en son temps
par Wilfrid Marie-Cardine, agrégé de grammaire, Inspecteur d’académie de la
Manche (1881-1891), auteur, en deux volumes, d’une Histoire de l’enseignement
dans le département de la Manche de 1789 à 1808 d’après des documents inédits,
Saint-Lô, Prével, 1889.
En voici la teneur :
- Art.
1. — Il y aura deux écoles de charité de garçons, tenues
dans le bourg de Bricquebec par les chapelains du château, sçavoir, la petite
par l'un d'eux, et la grande par l'autre.
- Art.
2. — En cas d'absence nécessaire ou de maladie de l'un des
chapelains, l'autre tiendra les deux écoles pendant le
temps d'absence ou de maladie seulement, en se faisant aider sous ses yeux
par ceux des écoliers qui en seront les plus capables.
-
Art. 3. — Les écoles se feront tous les jours ouvrables,
matin et soir, sçavoir : depuis le premier octobre jusqu'au premier mars, à
huit heures et demye précises du matin, et à une heure après midy,
et depuis le premier mars jusqu'au premier octobre à huit
heures précises du matin et à une heure et demye après midy.
-
Art. 4. — La
durée des écoles sera de deux heures et demye le matin et de deux heures l'après
midy.
-
Art. 5. — On donnera un jour de congé par semaine
où il ne se rencontrera point de feste.
-
Art. 6. — Les vacances commenceront le quinze
juillet et finiront au dernier août, sans pouvoir être prolongées
au-delà.
-
Art. 7. — Le chapelain, qui sera de jour ou de
semaine pour dire la messe, y fera assister les enfans de son école
autant que faire se pourra, et qu'il lui sera libre de dire la messe avant que son
école commence, ou immédiatement après qu'elle sera finie.
-
Art. 8. — On
ne pourra montrer le latin à qui que ce soit pendant la
tenue des écoles, afin que les maîtres ne soient point détournés ni surchargés,
sauf aux autres ecclésiastiques du bourg à sacquer à cette bonne
œuvre.
-
Art. 9. — Tous ceux qui se présenteront aux écoles y seront reçus, sans que l'on puisse exiger
connaître les peines et
soins des maîtres à suivre leur volonté et leur pouvoir comme ils aviseront bien.
-
Art. 10. — Les enfans des deux écoles seront distribués en différentes bandes ou classes de façon qu'ils soient,
autant que faire se pourra, d'égale force en chaque classe, afin de donner moins de peine aux maîtres et
plus de facilité aux écoliers.
-
Art. Il. — Tous ceux de la même classe auront chacun un même livre, afin d'avoir tous une même leçon, et qu'ils
soient toujours en haleine, pour suivre, répéter et profiter en même temps, le premier de la bande
commençant, le second ensuite, et ainsy successivement jusqu'au dernier.
-
Art. 12. — Pour ne pas ennuyer ni dégoûter les enfans, les empêcher de perdre leur temps et contribuer au silence et
bon ordre de l'école, on fera en sorte quo leurs occupations se succèdent, de façon qu'une classe
entière écrive pendant qu'une autre étudie, et que l'autre lit ou récite ce qu'elle a appris par
mémoire, eu commençant toujours par la classe la plus avancée.
-
Art. 13. — Il sera marqué des places de distinction dans chaque classe pour les plus diligens, et afin que chacun y
puisse aspirer, on composera tous les vendredis après midy par écriture, lecture ou mémoire, et
les places seront assignées suivant le mérite d'un chacun sans acception de personne.
-
Art. 14. — Il sera établi un censeur, en chaque école, qui sera choisi parmi les plus instruits et les plus
sages, pour maintenir le bon ordre sous la direction du martre : il entrera le premier à l'école et en
sortira le dernier, donnera les livres aux écoliers, et les recevra d'eux après les leçons,
maintiendra la police en l'absence du maitre, aura soin que l'école soit balayée tous les jours par ceux
qui seront désignés pour cette fonction, aidera le maitre dans les exercices de l'école qu'il lui
ordonnera, veillera à ce que les écoliers sortent de l'école, aillent à la messe et en reviennent deux à deux
avec modestie et sans confusion, donnera à ceux qui sauront lire les livres pour entendre la
messe lorsqu'ils seront dans la chapelle, et les recevra d'eux après la messe.
Veillera enfin à ce que tous y assistent avec respect, et y fassent les prières qui leur seront ordonnées.
-
Art. 15. — Tous les livres resteront dans l'école sans qu'il soit permis aux écoliers de les emporter chez eux, à
l'exception de ceux dont ils auront besoin pour les leçons qu'ils doivent réciter par mémoire, et afin
que le tout se conserve plus longtemps, on donnera toujours à chaque écolier le même livre,
sur lequel son nom sera écrit, tant qu'il s'en servira, et visite en sera faite de fois à autre,
pour connoistre ceux qui auront déchiré ou conservé leur livre.
-
Art. 16. — L'école commencera le matin par la prière du matin, et la
dernière demye heure sera employée à instruire de la religion, apprendre à prier Dieu, le
catéchisme du diocèse, servir la messe, expliquer et faire rendre compte du tout aux enfans suivant
leur portée, afin de leur en faciliter l'intelligence, et elle se terminera par la
lecture d'un article ou paragraphe de l'Imitation
de Jésus-Christ, suivie d'une courte prière.
-
Art. 17. — L'école commencera l'après midy par le signe de la croix et l'invocation du Saint-Esprit, et finira par la
lecture de la vie du saint dont on fera la feste le lendemain, suivie de la prière du soir.
-
Art. 18. — La dernière demye heure de l'école du samedi après midy sera employée à faire lecture de l'épître et
évangile du dimanche suivant au lieu de celle de la vie du saint ; on leur fera ensuite une
instruction familière et à leur portée sur l'épître et sur l'évangile : on en usera de même les veilles des festes
en les instruisant sur ce qui aura été lu de la feste
ou du mystère de la
Vie des Saints, et ces instructions seront suivies de la prière du soir, comme il vient d'être
dit au précédent article.
-
Art. 19. — Les enfans des petites écoles seront distribués en trois classes : la première sera composée de ceux
qui ne connaissent point leurs lettres, ou qui en ignorent le nombre, la qualité ou les caractères, auxquels on
donnera les premières notions ; la seconde
sera composée de ceux qui connaissent
leurs lettres et leur prononciation,
et auxquels on apprendra la manière de
les unir ensemble pour former des syllabes ; et la troisième sera composée de ceux qui savent appeller leurs lettres et former toutes sortes de syllabes d'une manière ferme et assurée ; et auxquels on apprendra à assembler lesdites syllabes
pour en faire des mots, jusqu'à ce qu'ils en ayent pris une grande habitude, qu'ils le fassent avec facilité sans s'y tromper, et qu'ils soient en
état de lire quelques lignes
correctement.
-
Art. 20. — L'expérience ayant appris que la lecture du français conduit et dispose naturellement à la lecture du
latin, et qu'il n'en est pas de même du latin à l'égard du français, on commencera et on continuera
toujours les enfans des trois classes des petites écoles par le français, et on ne leur apprendra
point à lire en latin.
-
Art. 21. —Par les raisons déduites article 12, on leur apprendra aussy,
autant que faire se pourra, à écrire, en donnant des exemples de lettres communes à ceux de
la première classe, des syllabes à ceux de la seconde, et des mots à ceux de la troisième, et
néanmoins laissé à la prudence du maître de dispenser du contenu au présent article ceux qu'il
trouvera trop jeunes, ou que l'écriture pourrait empêcher d'apprendre à lire.
-
Art. 22. — Enfin on leur apprendra à faire le signe de la croix, à prier
Dieu d'abord en français, ensuite en latin, on leur enseignera en outre les principaux mystères de
notre religion, les éléments du catéchisme du diocèse, et on leur expliquera le tout, suivant
leur portée et qu'il sera nécessaire en y employant le temps prescrit article 16.
-
Art. 23. — Lorsque les enfans seront assez forts pour lire en français deux ou trois lignes de
suite correctement et qu'ils sauront le petit catéchisme du diocèse, on
les fera passer dans la grande école.
-
Art. 24. — La grande école sera distribuée en trois classes, la
première sera composée de ceux qui commenceront à lire quelques lignes de suite en français et que l'on
fortifiera dans cette lecture en les faisant encore syllaber et lire ensuite exactement avec toutes les
différentes prononciations des lettres, points et virgules, jusqu'à ce qu'ils commencent à s'écouter en
mesure et à prendre goût à ce qu'ils lisent ; la seconde sera composée de ceux qui sauront lire
couramment et exactement dans le français et
auxquels on apprendra à lire en latin le matin, sans pour cela discontinuer de les faire lire en
français l'après midy ; la troisième sera composée de ceux qui sauront bien lire en français et en latin,
et auxquels on apprendra : I° à lire dans quelques livres imprimés en lettres gothiques, leur en
faisant bien connaitre les caractères, les liaisons, les abréviations, les abrégés
et les grandes lettres ; 2°
à lire des papiers écrits à la main ; 3° l'arithmétique et le calcul avec la plume et les jettons, le
tout sans discontinuer de les faire lire en français et en latin, en les faisant passer successivement du
plus aisé au plus difficile.
-
Art. 25. — On leur montrera aussy à écrire et à former des chiffres, et
l'on continuera en même temps ceux qui ont commencé à écrire dans la petite école jusqu'à ce qu'ils soient tous en état d'écrire aisément deux
pages par jour d'un livre, une le matin et l'autre l'après-midy, en observant l'orthographe, les
points, virgules, accents et lettres majuscules, et formant bien leur écriture.
-
Art. 26. — On leur enseignera à tous indistinctement le catéchisme du diocèse, et on leur en fera répéter tous les
matins par mémoire, plusieurs demandes et réponses, plus on leur fera apprendre et réciter par mémoire
l'après-midy quelques versets des épîtres et évangiles du dimanche qui doit suivre, de façon qu'ils
puissent répéter le tout au temps prescrit article 28.
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Art. 27. — On exercera encore leur mémoire suivant la portée d'un chacun en faisant apprendre et réciter
successivement à ceux qui sauront bien le catéchisme du diocèse, le catéchisme historique de M. l'abbé
Fleury, les sentences ou maximes de l'Écriture sainte, l'abrégé de l'histoire de l'Ancien Testament,
le Nouveau Testament, et le tout sans discontinuer de leur faire réciter comme aux autres le
catéchisme du diocèse afin qu'ils ne puissent l'oublier.
-
Art. 28. — Il se fera tous les samedis matin une répétition générale de tout ce qu'ils auront appris par mémoire et
récité le matin dans le cours de la semaine ; il en sera usé de même les samedis après-midy pour tout ce
qu'ils auront appris et récité l'après-midy pendant la même semaine ; et s'il était feste le samedy,
la répétition générale se fera le vendredy précédent et tiendra lieu alors de la composition
prescrite article 13.
-
Art. 29. — Enfin, les veilles des dimanches et festes, à l'issue de
l'école de l'après-midy, on apprendra le plain-chant pendant un quart d'heure à ceux en
qui l'on trouvera les dispositions requises, et deux entre eux seront successivement désignés pour servir de
chantres dans ladite chapelle le dimanche ou feste suivante.
Relevé et mis en ligne par Yves Marion, 20 janvier 2022