Périers après les bombardements (Arch. dép. Manche, Num 5783)
Parmi les villes de la Manche, Périers ne fut pas épargnée. Grandement détruite, la plupart des maisons et bâtiments n’étaient plus que ruines. Le cours complémentaire de jeunes filles n’avait pas résisté à l’incendie. Mme Marie *, la directrice, avait relaté les événements dans un ouvrage publié après-guerre et l’errance des élèves jusqu’à ce qu’elles soient enfin à l’abri.
Les garçons, eux, n’étaient plus
dans leur établissement réquisitionné par l’occupant, mais répartis dans des
maisons en ville au moment des bombardements. Il fallut quitter Périers. M.
Cachet, le directeur et son équipe, prirent la décision d’accompagner un groupe
d’élèves pour les mettre à l’abri dans la campagne. Les événements ont été
relatés par Marcel Cachet. Ces écrits en forme de témoignage ont souvent été cités
mais rarement publiés.
Le lecteur internaute se
reportera volontiers aux travaux publiés par l’historien prisiais que fut Henri
Levaufre* et, pour ce qui concerne les
événements, à l’ouvrage publié en 2012 par l’Association des anciens et
anciennes élèves des cours complémentaires de Périers : Périers et ses
écoles, histoire et témoignages* et aussi à l’excellent article de Gilbert
Martin, l’un des élèves concerné par l’épopée : « Un collégien de
Périers dans la tourmente de juin-juillet 1944 », Revue de la Manche,
tome 37, 1995, fasc. 148, octobre,
p. 64-71.
Les écrits de Marcel Cachet y
sont souvent cités. Mais, à notre connaissance, rarement publiés dans leur
intégralité. Nous devons à Colette Tirel-Dupont, qui possédait ces écrits, de
nous les avoir confiés, avant sa disparition l’an dernier, pour les publier sur
le site de la MHEM. C’est maintenant possible grâce à l’océrisation réalisée
par Roland Steiner et à la mise en forme que nous avons effectuée. Le document
original était de piètre qualité, cependant, rien n’a été modifié hormis
quelques ponctuations rendues aléatoires par la reconnaissance de caractères.
Nous sommes heureux de pouvoir
publier ce témoignage particulier d’un directeur de cours complémentaire plongé
dans la tourmente, soucieux de la protection des jeunes qui lui étaient
confiés.
* voir références en fin d'article.
* voir références en fin d'article.
Yves Marion
26 janvier 2020
Maj 8 février 2020
Maj 8 février 2020
Marcel Cachet
Qui est Marcel Cachet ?
Marcel Désiré François Cachet est né à Cherbourg le 27 octobre 1900. Elève de l'école normale d'instituteurs de la Manche à Saint-Lô, promotion 1916-1919, il poursuit sa formation à celle de Rouen pour y effectuer la quatrième année.Après son service militaire, il est nommé, en 1922, à l'EPS de Saint-Fargeau dans le département de l'Yonne. Il y reste jusqu'en 1926 pour rejoindre le département de la Manche où il occupe les postes d'instituteur à La Mancellière, Pont-Hébert, Ducey, Mortain avant d'être nommé à Périers le 1er octobre 1942. Poste qu'il quitte le 31 décembre 1955 pour se retirer dans l'Yonne dans sa propriété de Saint-Martin-des-Champs.
Officier d'académie en 1949, officier de l'Instruction publique en 1954, il est chevalier de la légion d'honneur le 5 janvier 1956 (JO du 7 janvier 1956, p 293) et s'est viu attribuer la Croix des services militaires volontaires.
Marié le 27 juillet 1925 avec Hélène Marie Hildebrand, Il aura deux enfants, Nicole et Jean dont il est question dans son témoignage.
Il est décrit comme un jeune homme plutôt longiligne, 1,78 m, aux cheveux bruns et aux yeux bleus (FM classe 1920, Cherbourg, matricule 1047, vue 704/1006)
il décède à Velizy-Villacoublay le 26 avril 1993.
Témoignage de Marcel Cachet
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Depuis deux
jours et trois nuits les escadres aériennes passaient dans le ciel de Périers
pendant que dans le lointain les bruits précis des bombes et des canons nous
apprenaient mieux que tous les communiqués la proximité relative des combats.
Nous étions dans
l’étrange situation morale du croyant alors que la preuve est en route et
s’approche à chaque instant.
Dans les rues
désertes quelques passants allaient de porte en porte colportant moins des
nouvelles que des impressions, des déductions, des espoirs et aussi, mais
beaucoup plus rarement, quelques craintes.
Les amis se
réunissaient furtivement et célébraient à leur manière cette rentrée de la
France dans la guerre qui devait préluder dans l’esprit de la plupart au
retour de sa grandeur dans la liberté retrouvée.
De temps en
temps, un bruit de mitrailleuse orientait les têtes vers une des quatre routes
rayonnant autour de Périers ; l’œil distinguait alors sur l’horizon un
nuage noir qui s’élevait vertical dans un ciel extraordinairement net tandis
que le vrombissement ascendant des quatre chasseurs vous arrachait les
entrailles : un sourire, un clin d’œil complice...encore un mitraillage réussi
!
Ils l’étaient
presque tous et depuis 48 heures les grandes artères droites n’étaient
fréquentées que la nuit et à des vitesses folles par des convois hétéroclites
T.O.D.T. de Cherbourg descendant vers St-Lô, quelques camions de prisonniers et
aussi quelques renforts... mais très peu...
Mardi soir un
docteur est mitraillé près de St-Eny en effectuant une tournée près de ses
malades : première victime civile locale unanimement estimée et dont le destin
tragique frappe notre optimisme et alerte les plus calmes !
Mercredi, les
réfugiés de St-Lo et Coutances racontent les terribles bombardements de ces
deux villes. Voilà qui devrait nous décider à partir et qui, cependant, nous
confirme dans notre résolution de rester en affermissant notre croyance à
l’impunité. Nous trouvons d’ailleurs de bonnes raisons : ce sont des villes,
des croisements de chemin de fer, des centres de garnisons allemandes... et
justement, tous les occupants ont quitté Périers sauf une douzaine de
sentinelles peu dangereuses qui stationnent au sortir du bourg.
La quiétude est
générale et hors les allures rapides des piétons, on se croirait un dimanche de
Juin comme avant ; dans le parc servant de cour de récréation à l’internat
une trentaine de garçons a pris le rythme nonchalant des vacances inactives :
les plus âgés lisent à l’ombre des grands arbres tandis que les jeunes jouent
aux billes dans la poussière. Leur existence est monotone et la seule vraie
distraction est l’examen renouvelé des avions chasseurs virevoltant sur Périers
dont ils rasent les toits dans un bruit de tonnerre que l’accoutumance fait
paraître sympathique.
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Nous avons fait
des provisions d'eau et de pain ; un veau salé permettra d’attendre quelques
jours sans complication de menu.
L’avenir est
incertain mais notre conviction est que nous aurons un jour ou deux à passer
dans le risque mais que notre délivrance est proche... affaire de jours tout au
plus !
Le jeudi
s’annonce comme la veille : un jour d’attente fiévreuse où l’ignorance des
évènements historiques qui se déroulent à nos portes détermine chez tous le
désir d’écouter la radio : quelques postes à galène peuvent capter quelques
communiqués énigmatiques et déformés. C’est pour aller écouter un de ces petits
postes chez un collègue que deux professeurs venus comme de coutume prendre
leur petit déjeuner, vont quitter précipitamment l’internat.
Il est 9 h
quelques minutes.
Des vagues de
bombardiers passent et repassent sur le Bourg. Ils viennent de St-Lo, de
Coutances ou ils se dirigent vers Lassay, La Haye du Puits.
Allons !
Périers n’est pas un objectif militaire : pas de bifurcation, pas de troupes,
pas de pont… pourquoi un bombardement ? Il y a bien les routes, mais les
instructions parvenues à la Résistance demandaient des destructions qui ont été
fidèlement exécutées ; si le carrefour devait être obstrué un message au « secteur »
et... dans quelques heures ce sera chose faite. Quiétude, calme ; on rit
d’une famille qui part - baluchon sur l’épaule - vers la campagne... des
froussards !!...
Ils sont
vraiment beaux ces avions volant en formations régulières et symétriques et,
pour mieux les admirer, Jean braque sa jumelle vers une nouvelle vague
semblable aux autres. Ils approchent : 4km, 3km, 2km... Le bruit
s’amplifie et les têtes se lèvent !
« Nom de Dieu !
des bombes ! » Dominant le tumulte mécanique, la voix de Jean éclate angoissée,
mais claironnante comme un signal de sauvegarde in extremis.
Qu’avons-nous
fait pendant les quelques secondes qui s’écoulèrent alors ? Il est très
difficile de reconstituer des actes instinctifs, rapides comme la parade d’un
coup inattendu et indéfini ! Chacun s’est précipité vers ce qu’il pensait être
une protection et aussi vers d’autres êtres chers. Pourquoi ici plutôt que là ?
Un vrai mystère impénétrable où la destinée se joue sur le choix d'une porte,
le rythme d’une course, la position du corps au moment du choc : c’est
inexplicable et pourtant il doit exister un flux qui commande ces actes
impulsifs car dans la majeure partie des cas le choix du lieu s’est révélé
heureux !
Des témoignages
recueillis aussitôt après, il semble que les enfants ont adopté deux solutions :
l'écurie ou l’éparpillement dans le parc, pendant que ma famille s’est
précipitée dans la cuisine !
3 bombes : 2 sur
la maison, 1 dans le parc... un bruit terrible ? Non… une impression indéfinissable
de choc suivi d’un courant d’air chargé de vitres brisées, d’éclats, de
pierrailles qui vous claque le visage comme un soufflet fantastique qui fait
tituber les plus solides. Puis l’écroulement de la maison qui oscille et
s’effondre par pans successifs dans un bruit clair de pierres sèches.
Vous ouvrez les
yeux et vous avez la certitude d’être au moins aveugle ; vous criez et votre
bouche s’emplit de poussière gluante et happante ; d’autres cris vous répondent
et leur nombre vous est
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un premier
réconfort.
"Les
gaz" hurle mon neveu, qui distingue le rectangle irrégulier d’une fenêtre voilée
par une teinte jaune correspondant à l’odeur soufrée de la poussière.
La lumière
revient vite et par le reste de la porte nous nous précipitons au dehors en
criant et en nous étreignant.
Des cris partent
d’en haut ; quelle joie inconcevable envahit le cœur : les filles sont
vivantes sur ce qui reste du premier. Les gestes sont rapides : pendant que
Madame Cachet regroupe tous les enfants, une escalade sur les décombres permet
d’atteindre la corniche d’où les cris sont partis et, toujours très vite, la
descente s’effectue vers le cellier où nous nous blottissons croyant encore à
la protection d’un faible toit !
Une nouvelle
vague… des bombes… Une troisième vague : des bombes, mais plus loin… Un coup d’œil anxieux vers l’horizon et,
rassuré, je fais un appel des enfants : chaque « présent » est un
réconfort, chaque tête nouvelle entrevue est une source d’espoir, hélas !
Lucien n’est pas avec ses camarades… cris, recherche... rien... On espère
pourtant malgré le fait indéniable de sa mort : il était couché, malade, et la
bombe est tombée près de son lit ! D’ailleurs les événements commandent des
solutions immédiates ; les avions peuvent revenir, ils reviendront même
certainement car le carrefour est intact : protégeons les vivants en les
mettant hors de l’objectif : chaque pensionnaire prend un pain couvert de
poussière, criblé d’éclats de pierre et c’est la fuite en colonne vers la
campagne.
Ce premier
départ est trop rapide pour qu’il soit documenté sur l’état de la ville, nous
courons hagards, fiévreux presque hallucinés comme des bêtes épouvantées, vers
les champs bordant le Bourg, à droite, à gauche, sautant les haies, couchant
les clôtures des concitoyens nous rejoignent et s’agglutinent à nous qui
donnent l’apparence d’un groupement déjà coordonné. Visages défaits, vêtements
poussiéreux des effrayés, visages sanglants, vêtements en loques des sinistrés
: l’épouvante est partout ! Des vieillards blessés à la tête perdent le sang en
abondance ; une autre a des varices percées et le sang coule, coule,
dessinant des sillons dans la couche de poussière ocre !
Enfin, toute
notre, bande est éloignée : un court arrêt pendant lequel on examine les blessés
tandis que les plus valides et surtout les mieux équilibrés reviennent à la
maison.
En effet, il
fait soigner les blessés et s’occuper de la nourriture. Pour les premiers
quelques pansements, quelques produits sont en dépôt dans un local
épargné : une visite et les premiers soins vont pouvoir être donnés. Dans
l’énervement certains actes impossibles de sang-froid sont exécutés, les plaies
sont nettoyées désinfectées, pansées et sur les visages le calme revient.
Vite un premier
examen nous révèle une blessure très étendue à la fesse, une blessure sérieuse
a la tête et beaucoup de blessés légers ou de contusionnés.
Parmi eux Paul
souffre beaucoup au côté gauche : déshabillage, une contusion étendue, sans
plaie, sous les côtés gauches : tout ce qu’il est possible de faire se
résume à des compresses et à des
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comprimés et
pourtant son visage se creuse rapidement, son teint devient jaune, ses yeux
s'allument de fièvre ; à chaque mouvement il crispe son manque, il tente de se
lever mais retombe sur le sol. L’impuissance à soulager ce brave petit est
particulièrement cruelle ; les docteurs sont morts nous le savons et il nous
faudra essayer encore nos procédés simplistes.
Dans les
décombres de la maison nous retirons et transportons quelques matelas et
couvertures pour les blessés et les femmes tandis que des boites de conserves
vont avec le pain assurer la nourriture des personnes rassemblées dans un
chemin creux.
Maintenant que
le plus pressant est fait pour notre groupe [nous] retournons dans les ruines.
Inutile d’essayer de faire des descriptions… tous les pays bombardés se
ressemblent ; cependant un groupe tente de retirer des décombres une voisine
qui appelle au secours… Nos efforts s'ajoutent, hélas vainement car le feu
gagne et quelques heures plus tard tout sera fini : la joie paisible d'un foyer
uni pour lequel la vie semblait réserver toutes les faveurs n'est plus qu'un
souvenir tandis que les volutes d'une fumée bleuâtre s'échappent des poutres
enchevêtrées au-dessus du sommier écrasé qui fut le gros obstacle des
tentatives de sauvetage.
Et les
renseignements nous parviennent sur l'étendue du désastre : les pauvres
Lebourgeois et Letrelluger ont péri avec toute la famille Leroux ; la famille
Cosnefroy, la famille du Docteur Besnard, d'autres, d'autres encore sont
disparues.
L'accablement
nous gagne, et comme des automates nous prenons un chargement de victuailles et
nous rejoignons les enfants dans le chemin creux ; c'est au cours de ce retour
que nous rencontrons Mlles Lerouxel qui nous indiquent la présence
de M. Motin blessé à la cuisse et se reposant dans un champ voisin. Avec l'aide
d'un jeune homme, nous transportons le blessé dans le chemin creux où nous
allons camper en attendant les américains... car notre optimisme est
invulnérable et nous sommes persuadés que le bombardement du matin est une
couverture immédiate de l'avance alliée dont les premiers éléments sont sur la
route entre Carentan et Périers. Entendons-nous bien, notre opinion peut
paraître candide, mais elle était unanime parmi la centaine de réfugiés du
chemin creux et elle était raisonnable car elle correspondait à, la faiblesse
des contingents allemands de couverture, à leur moral, à la supériorité
aérienne alliée mais aussi à ce que nous pensions en Français pour lesquels le
massacre de femmes et d'enfants alliés ne pouvait se justifier que dans une
action proche d'un combat décisif et non pas dans une vague mesure générale de
terreur. Nous attendions les chars américains, mieux... nous les entendions ;
notre imagination jouant, nous transformions tous les bruits en les
interprétant selon nos vœux !
Faisons le point
: deux heures dans un chemin très encaissé ; 60 personnes environ dont 3
blessés graves et beaucoup de blessés légers : optimisme craintif de la
plupart.
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Deux problèmes
immédiats : les soins aux blessés et l'organisation d'un cantonnement.
Grâce à une
mallette de pharmacie sauvée par M. Motin et au dévouement de quelques-uns les
pansements sont révisés et même une demi-injection de sérum antitétanique est
faite aux deux grands blessés. M. Motin constate alors que l'éclat de bombe qui
a pénétré à la face antérieure gauche de la cuisse est sorti à l'intérieur
après avoir traversé le membre près de l'os : nouvelle réconfortante car
l'intervention chirurgicale ne s'impose plus.
L'état de Paul
ne s'améliore pas, la fièvre augmente visiblement Que peut-il bien avoir ? en
l'absence de docteur, le pharmacien passe et conseille de continuer les
compresses tièdes.
Le cantonnement
s'annonce mieux. Un hangar au bout du chemin, route de Carentan, fournira la
paille malgré les protestations égoïstes de son propriétaire. Deux clôtures
faites de branches entrelacées fermeront assez le chemin pour atténuer le
courant d'air. Chacun s'installe dans son petit coin en utilisant au maximum
les couvertures et les quelques matelas. Le repas du soir est triste.
Mais la
lassitude l'emporte et dans la nuit venue les voix s'éteignent l'une après
l'autre tandis que profitant de l'ombre, des autos, des chars passent à toute
allure sur la route toute proche de Carentan.
Cet
assoupissement n'est pas le sommeil et le vent qui se met à souffler accentue
l'incommodité de notre situation ; parfois le gémissement d'ailleurs
discret d'un blessé réveille les voisins mais Paul se plaint plus fortement :
il réclame sa mère, se dresse, urine et... la reprise des fonctions amène
quelque espoir ! hélas, quand le petit jour rend de l'activité au cantonnement,
le pauvre gosse a terminé ses souffrances ! Dans un bas chemin, sur un matelas
avec une couverture, il s'est définitivement échappé de notre pauvre humanité
si folle et si stupide qu'elle tue anonymement un pauvre gosse dont tous appréciaient
la gentillesse, la docilité et la bonne volonté, sans avoir le baiser de sa
mère, sans paroles consolatrices, loin de sa maison, mort atroce stoïquement
subie sans plaintes, sans lamentations, voilà la mort de Paul Abraham, grand
garçon de 15 ans qui rejoignait dans l'au- delà les quatre professeurs qui
l'aimaient.
Mais, passons…
les événements commandent toujours. Le maire de St-Sébastien de Raids que je
vais chercher assure le transport du corps et celui des blessés que d'ailleurs
il logera chez lui tandis que le reste trouve un cantonnement dans une ferme
voisine chez M. Lemelletier : triste cantonnement d'ailleurs dans une étable
pas très propre et pas très close mais l'accueil est sympathique et la paille
n'est pas épargnée. Les enfants s'étendent avec délice dans la paille fraîche
et le soir tout le monde s'endort calmement malgré la venue près de la ferme
d'un détachement de « tigres » qui, eux aussi, cantonnent dans le
chemin couvert qui prolonge la route venant de Périers.
Ainsi que je l'ai
dit plus haut, les blessés sont dans une chambre de M. Thézard où ils sont soignés avec l'aide et les
conseils du pharmacien Levavasseur qui se montre dévoué et oublie même ses
intérêts personnels qui l'appelleraient à Périers.
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La nourriture se
fait dans le local servant de cantine scolaire et en plusieurs services, en
utilisant un matériel rustique, •Tout notre groupe mange à sa faim car notre
approvisionnement s’est sérieusement renforcé ; en effet M. Thézard assure 2
voyages à Périers où nous retirons des décombres, des conserves, des haricots
secs, des pâtes et du sel. Cette base est complétée par une livraison de 300 kg
de farine que Mme Paint, notre boulangère, met à ma disposition sur
le stock de réserve qu’elle maintenait hors du Bourg.
Entre temps,
grâce au concours du Maire, du curé, du Charpentier et du fossoyeur notre
pauvre Paul est inhumé, avec une bénédiction écourtée, le dimanche matin au
petit jour…
Par ce clair
matin du dimanche 11 Juin la longue route droite légèrement ondulée qui
constitue l’artère unique de St-Sébastien prend une activité anormale de
camions, de motos et même de chars allemands : une division de S.S. qui monte
du sud vers St-Eny en évitant la grande route.
Les services
s’installent dans les champs bordant la route et les allées et venues
s’accentuent !
Notre asile
devient moins sympathique mais nous préparons quand même le repas ; cependant
l’afflux sens cesse croissant des allemands rend notre situation plus exposée
car les avions viennent de passer au-dessus de nous… ils repassent... ont-ils
observé cette condensation anormale ? c’est probable !... alerte ! nos pauvres
hardes sont chargées sur un mauvais camion, la cuisine est abandonnée et notre
troupe se sauve par le chemin couvert qui, au travers du marais, conduit chez
Ludovic en Marchesieux. Les gosses, sentant le danger, font le maximum
d’efforts pour gagner un nouveau refuge. Pendant ce temps le pharmacien,
infirmier dévoué de tous les réfugiés au sud de Périers, prévient les blessés qui
évacuent eux aussi une chambre trop exposée. Ils traversent la route.
Ouf ! il était
temps ! Le premier chasseur - prenant la route en enfilade - mitraille la
bourgade, un second suit, puis un troisième... et la danse infernale
continue...
Jean revenu pour
aider les blessés, s’échappe par le marais et pour se protéger traverse la
rivière à la nage pendant que les blessés, Paulette & Jeannine se
blottissent sous une haie près de la maison Lasseret.
La mitraillade
continue... Une maison flambe, bien d’autres sont atteintes tandis que les
boches gagnent les talus et débouchent dans le petit chemin de Lasseret au
moment même où une carriole de chez Ludovic traverse les marais en face pour
venir chercher les blessés.
Le retour est
angoissant : la route de Marchesieux que nous devons emprunter pendant 1 km est
sillonnée de convois ; notre carriole, prise au milieu de voitures allemandes,
active l’allure tandis que les regards de tous scrutent le ciel en souhaitant
ardemment qu’il reste calme ! Quel soupir de soulagement quand,
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enfin, la
carriole tourne à droite dans le petit chemin qui mène à la ferme de Ludovic;
mais aussi quel accueil cordial &
simple où tous, maître comme domestiques offrent aux réfugiés leur bonne
volonté, leurs vivres et leurs demeures.
Comme nous
sommes nombreux, nous nous installons dans 3 petites maisons éloignées d’une
centaine de mètres du corps principal du logis. Une cuisine où nous mangeons
par fractions, une réserve pour nos victuailles, deux grandes pièces servant de
dortoirs. Nous passons là quelques bonnes journées par un temps superbe alors
que les obus ne troublent pas encore la sérénité de la campagne.
Les enfants
couchent dans des draps sur la paille et acceptent facilement ces dures
conditions de vie. Le voilà le camping où chacun apporte ses aptitudes et son
ingéniosité pour assurer le ravitaillement et le logement de tous.
Pour les corvées
de lait, d'eau, de pain, de bois, de cidre les volontaires sont nombreux : pas
de plaintes, pas de disputes ! Dès maintenant il nous est permis de constater
que nos enfants se sont montrés à la hauteur des événements, certains même ont
montré une détermination, une énergie, un « cran » que des adultes
pourraient envier. Privés de tout confort, ils ont souri, chanté, joué sans que
la contrainte soit nécessaire pour maintenir un état d'esprit favorable. Ils
méritent d'en être félicités.
Voyons, une fois
pour toutes, comment se passe notre journée. Pendant toute cette période elle
sera identique :
Au jour, vers 5
heures, les plus matinaux sortent et aident à la confection du déjeuner :
du café à la turque et le lait ne manque pas grâce à M. Lesaulnier, providence
de tous les réfugiés dans sa ferme.
Vers 7 heures,
c'est le premier service de tous les enfants chacun prend son assiette pleine
d'un café au lait bien sucré et trempe son pain bien beurré mais déjà rationné ;
lavage immédiat de la vaisselle et c'est le second service des grandes
personnes avec le même menu.
Puis, ce sont
les soins aux blessés : pansements et déjeuners ; tout se passe pour le mieux et
les plaies ont bon aspect grâce aux soins énergiques malgré leur simplicité !
Les adultes
valides procèdent aux opérations ménagères de cuisine, de ravitaillement, de
lavage et de nettoyage. Parmi celles-ci le déplacement à Marchesieux est une
des plus pittoresques : le mardi et le vendredi la commune de Marchesieux
distribue le pain, plus tard le boucher vendra aussi de la viande. Il est
nécessaire de participer à ce partage, aussi, une petite troupe part de bonne
heure : deux ou trois adultes et autant d’élèves qui traînent la remorque.
Durant les 5 à 6
km de trajet, il faut se dissimuler des chasseurs américains afin d'éviter une
méprise ; il faut aussi éviter les rencontres avec les allemands qui n'hésitent
pas à s’emparer de nos provisions au retour.
Au bourg de
Marchesieux la venue de tous les réfugiés
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prisiais orée
une animation près de la boulangerie, du boucher et aussi du
café-épicerie-mercerie qui profite du dénuement des sinistrés pour leur vendre
à prix fort des marchandises de mauvaise qualité !
Toutefois la
proximité du front s’accentue à chaque visite et nous ne nous attardons pas
sitôt servis, sitôt en route l’œil et l’oreille prêts à déceler le point où le
bruit suspect dans le ciel à moins que ce ne soit un convoi allemand filant à
toute allure avec un ravitaillement précieux et attendu, une relève de troupes
hâves et déguenillées marchant en deux colonnes dans chaque fossé ou encore des
motocyclistes portant quelque pli urgent ; c’est l’image de l’immédiat
arrière-front avec ici l’inquiétude d’une surveillance constante des chasseurs
américains prêts à piquer sur tout ce qui circule.
Le repas de midi
se fait suivant le même rite et il comporte un plat de viande et des légumes
que tout le monde apprécie tant il est vrai que la vie au grand air nous rend
moins difficiles.
Pendant
l’après-midi les enfants jouent ou bricolent, les adultes continuent
l’aménagement en essayant de rendre habitables nos deux dortoirs malgré les
moyens restreints dont ils disposent ; quelques visites entre réfugiés,
quelques échanges de petits services et aussi des conversations où les plus « gonflés »
tentent de remonter le moral des plus déprimés, achèvent en général l’après-
midi des premiers jours alors que l’espoir reste vif d’une libération prochaine
favorisée par un temps radieux.
Après le repas
du soir - d’un menu souvent identique au déjeuner - quelques heures de repos
aux propos mélancoliques nous conduisent au coucher.
Pendant 10 jours
il en sera ainsi avec une monotonie troublée seulement deux soirs par quelques
murmures d’obus allant échouer sur la ferme de Quellette près du campement de
la famille Garlan. Un frisson chez la plupart d’entre nous accompagne cette
révélation brutale de la guerre et quelques sommeils sont particulièrement
agités ces nuits-là.
Une certaine
quiétude se crée malgré la venue d’un détachement d’allemands dans les prés de
la ferme. Le major de cette unité apprenant l’existence de nos blessés vient
nous voir; il parle correctement le français et désireux de se créer une
distraction il revient avec un poste de T.S.F portatif : une belle réalisation
ce poste, il capte excellemment toutes les émissions mais quand le major veut
nous faire entendre les « anglais » nous devenons indifférents et
engageons entre nous une conversation banale... Sait-on jamais? l’essentiel est
le rouleau de sparadrap dont il nous fait cadeau et qui permettra nos
pansements car les bandes manquent.
Le jeudi 22 juin,
cette quiétude est brusquement troublée : deux motos débouchent dans notre
petit chemin de terre puis peu après une voiture de liaison allemande dépose un
lieutenant qui déclare en mauvais français « à midi, nous partir ». L’exposé
de notre situation apporte aucun délai… et il nous faut chercher un autre
abri... Où ? Dans l’intérieur des terres il existe une ferme... Une visite au
fermier M. Danguy qui veut bien venir chercher nos blessés en carriole ; il
reviendra avec 2 voitures pour les blessés les enfants
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et transporter
nos réserves et notre petit matériel.
Tout le monde se
met en route sur un chemin boueux long de plus d’un km.
L’arrivée à la
nouvelle ferme est lamentable et il est permis d’affirmer que c’est ce jour-là
que notre moral fut le plus bas. Les causes ? L’accueil manquant de cordialité,
l’état lamentable des locaux possibles, la perspective d’autres déplacements… tout
cela à la fois venant après Ludovic Lesaulnier !
Nous allons
chercher ailleurs... Le fermier nous y aide… Une première ferme abandonnée en
bordure des Baux ne peut être retenue… une seconde, inhabitée depuis 20 ans,
mais en excellent état, est adoptée d’emblée avec l’accord immédiat de sa
propriétaire Mme Regnault. Les raisons ? Sa situation isolée mais
surtout l’absence de tout chemin pour y aller un véritable ermitage insoupçonné
de la route.
Chacun prend un
chargement : M. Danguy recharge les
blessés et le ravitaillement, et vers 6 heures nous commençons notre nouveau
cantonnement.
Le moral est
redevenu « beau fixe » et dans la nuit tombante les enfants chantent
avant que la fatigue de cette journée épuisante ne les terrasse.
Deux jours pour achever
notre installation : construire une table avec les ruines d’une vieille maison ;
curer le puits, aménager l’accès d’un vieux chemin… et notre vie reprend dans
un calme trompeur.
Le soir les
enfants jouent avec Mosquito, le chien de M. Motin ; nous avons l’impression
d’appartenir à une humanité primitive où les besoins sont minimes et vite
comblés grâce à nos provisions…
Pourtant il nous
faire face à des problèmes successifs que nous résoudrons pour le mieux : le
premier est celui du vêtement. Quand les bombes sont tombées les enfants
avaient une culotte, une chemise, une blouse, la plupart étaient en chaussons ;
tout cela est dans un état désastreux et il faut envisager une restauration de
la garde-robe.
Monsieur le Curé
prend l’initiative d’une collecte qui nous procure quelques culottes, des
blouses ; nos voisins les Leforestier coupent des draps pour confectionner des
chemises... chez M. Cousin j’achète quelques chaussures, quelques sabots et
tout le monde se trouve un peu plus présentable !
Le second est
celui de l‘hygiène : malgré nos conseils répétés, les enfants se lavent mal et
leur linge est souillé.
Les soins
corporels s’effectuent dans une petite cabane de feuillage aménagée dans
l’angle du champ derrière le puits... les enfants s’y prêtent comme à un jeu et
les résultats sont immédiatement heureux ; cependant certains sont habités par
des parasites et pour s’en débarrasser il nous faut adopter une solution
héroïque : M. Nicolle prend sa tondeuse et les boucles tombent avec leurs hôtes
; les enfants ont accepté de bonne grâce car ils se rendent compte que ce
sacrifice était nécessaire...
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d’ailleurs les
adultes éprouvent une très grande difficulté à se libérer de ces envahisseurs
désagréables et dangereux… Enfin des cas de gale sont plus sérieux car les
moyens de lutte sont plus difficiles à trouver. Nous fabriquons une pommade
avec du beurre et le soufre d’une mèche à tonneaux... les résultats sont
médiocres et jusqu’à la fin la gale atteindra la plupart des enfants, mais les
dégâts seront souvent limités.
En effet, la vie
au grand air, avec parfois des exercices violents a fortifié tout le monde et
pendant 8 semaines nous n’avons pas eu un seul rhume, une seule maladie
sérieuse ; les incidents sanitaires se bornent à des coliques causées par des
digestions brusques et, surtout, par le séjour du jus de cuisson des haricots
dans un seau galvanisé : ce jour-là c’est une procession ininterrompue derrière
toutes les haies avoisinantes.
Un autre
problème est celui du pain : nous avons de la farine en quantité suffisante
mais il faut boulanger ; M. Dangy veut bien mettre son four à notre
disposition, faire le levain et la cuisson : c’est l’essentiel mais ce n’est
pas le plus difficile. Il faut transporter le pain, soit 12 grosses miches de 6
kg au milieu des troupes allemandes qui stationnent entre la ferme et notre
maison et qui circulent sur la route des « Baux » que nous devons
traverse : une douzaine de volontaires viennent prendre le pain.
L’expédition
commence. En colonne, avec 2 éclaireurs, l’équipe procède par bonds qui
successivement traversent le jardin déjà secoué par les obus, un vallon très
humide et la fameuse route dans un tournant abrité des vues, puis des champs
avec des haies touffues dans un long détour, nous amènent au voisinage de la
maison où nous sommes impatiemment attendus !
Deux fois la
mime opération sera réussie après des alertes, des stations, des courses qui,
au fond, ne sont pas pour déplaire à nos enfants à qui elles offrent un
dérivatif actif dans une existence monotone...
Hélas, c’était
trop beau ! Une nuit du début de Juillet, nous étions tous couchés quand, vers
4 heures du matin, nous entendons venant de la route de St-Lô à Périers un
bruit de chars. Ce bruit a sans doute été perçu par les américains car,
brusquement, un éclair illumine les arbres devant la maison et aussitôt le
sifflement d’un obus qui passe au-dessus de la maison... quelques secondes
après une explosion !
Puis éclairs,
sifflements et explosions se succèdent à un rythme accéléré : tout le monde est
éveillé les enfants et les femmes s’inquiètent... il y a de quoi ! pendant une
heure nous sommes sous la trajectoire d’un tir d’interdiction sur la route de
St-Lô : un vrai feu d’artifice qui parfois se rapproche moins de 200 m et dont
les spectateurs sont impuissants et passifs n’ayant même pas la fièvre du
combattant qui peut, lui, répondre.
Enfin, vers 6 heures,
tout ce tintamarre cesse subitement et nous sortons voir les dégâts dans les
haies et les pommiers ; cette vision crée une frayeur rétrospective et nous
décidons de construire immédiatement un abri...
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Les voisins nous
prêtent pelles et houes et le piquetage étant fait... il n’y a pas de
paresseux.
L’abri sera
creusé au pied d’un de ces larges talus qui séparent chez nous les herbages et
servent de barrière pour le bétail.
Les obus venant
de l’est, nous choisissons une haie convenable et sur son côté ouest nous
commençons. Tout le monde y met son cœur et très rapidement la tranchée prend
tournure. Nous creusons un long sillon car nous sommes 38 et nous aménageons le
sol de façon à confectionner un siège sur toute sa longueur.
A 17 heures les
terrassements sont terminés ; il reste la couverture. L’état-Major de notre
groupe examine les matériaux possibles et utilisables et très rapidement nous
décidons : les poutrelles et chevrons d’une maison abandonnée à quelques
centaines de mètres constituent un premier lit sur lequel nous mettons des
rondins et dessus une bonne épaisseur de la terre de déblai ; enfin nous
transportons les fagots d’un énorme fagotier voisin. Quelques centaines de
fagots bien disposés doivent assurer une bonne protection contre les obus, qui,
nous l’avons constaté ont leur fusée réglée très sensible et explosent dès le
premier contact avec obstacle.
Le transport de
ces fagots nous a pris plusieurs heures et la nuit tombe quand le travail est
fini. Le repas du soir est rapidement englouti et il ne faut pas faire acte
d’autorité pour envoyer tout le monde se mettre dans l’abri.
Permettez-moi
d’insister cependant sur cet événement. Il marque pour nous un tournant dans
notre existence. D’abord il nous renseigne sur la marche des événements : les
américains ne sont plus très loin quelques kilomètres, au maximum, car ce sont
des obus d’artillerie de campagne, voire de chars que nous avons reçus ;
ensuite; leur tactique logistique est claire : pour interdire le ravitaillement
des allemands en ligne ils contrôlent, par leurs magnifiques chasseurs
bombardiers, toutes les routes pendant le jour, mais la nuit arrivée ils
procèdent à des tirs d’interdiction sur les routes derrière le front.
Dans le jour pas
d’artillerie sauf en cas de riposte et de tir de contre-batterie mais alors
peur nous il n'y a jamais surprise car les premiers coups partent toujours des
batteries allemandes qui avoisinent et nous en sommes assez près pour entendre
les hurlements des chefs qui sont des commandements de tir Nous sommes prévenus
et tout le monde se précipite dans l’abri !
Aussi les journées s’écoulent de façon assez
normale avec un horaire assez lâche car les problèmes doivent être résolus par
des solutions empiriques avec des moyens de fortune.
C’est ainsi
qu’il nous faut assurer la constitution de réserves pouvant être soustraites à
la vue des visiteurs allemands. Nous creusons un trou en forme de
parallélépipède rectangle de 2 m sur 1 m avec une profondeur de 1 m. Nous
disposons un faux plancher sur lequel nous plaçons les provisions les plus
précieuses : farine, haricots, sucre, chocolat, conserves.
Puis, sur quatre
chandelles, nous plaçons un faux plafond de bois sur lequel nous remettons les
plaques de gazon que nous avions soigneusement découpées. Ainsi aucun signe
extérieur ne
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décèle notre
cachette et ce serait parfait sauf le cas d’un passage d’un corps lourd, sur
notre cave ; c'est ce qui arrive une fois où une de nos vaches mit malencontreusement
la patte sur le faux plafond et enfonce une partie de la plaque ; heureusement
le mal ne fut pas grand et rapidement tout fut remis en état.
J’ai parlé des
visites : nous en avons reçu plusieurs.
D'abord celles
sympathiques : quelques amis de Périers sont venus nous voir et nous ont
donné quelques nouvelles de nos concitoyens ; petit à petit tout le monde
évacue et se dirige vers le sud avec quelques pauvres affaires ; les causes en
sont les bombardements, la lassitude, le ravitaillement difficile et parfois
aussi les ordres allemands.
D'ailleurs, nous
commençons à nous en apercevoir au cours des rapides explorations effectuées
autour de notre campement. Ici et là nous trouvons des fermettes abandonnées et
des traces de pillage ; les fermes situées loin des routes sont encore habitées
et grâce à elles nous aurons un contact français pendant les 20 premiers jours de Juillet.
Une visite très
sympathique fut celle du docteur de Feugères. Qu’il soit remercié ce brave
docteur : brave dans tous les sens car il fallait un joli courage pour franchir
les 5 km qui nous séparaient du joli petit bourg de sa résidence mais il avait
appris notre implantation et l’existence de blessés. Alors très simplement nous
le vîmes arriver et après avoir constaté l'excellence de l’état sanitaire, il
nous donna quelques conseils pour soigner nos blessés avec nos possibilités. C’est
ainsi que la gale fut contenue et même recula et que la cicatrisation des
grandes plaies fut accentuée par une pommade à base de beurre et de jus de
carottes. Cette visite donne un bon moral à tout le monde et, encore une fois,
je tiens à exprimer ici ma gratitude pour cette solidarité spontanée.
Nous avions
aussi des visites d'adieu des habitants du voisinage dont le moral craquait et
qui, brusquement, décidaient d’aller sur les routes après avoir juré la veille
eu le matin même que ce n’était pas une solution.
C’est toujours
poignant ces adieux et pour nous c’était en plus démoralisant ! Soyons
sincères ; nous avions aussi nos moments pénibles et certains jours l’envie de
partir était bien grande... Si grande
que nous avons préparé tout, en vue d’un départ proche.
Avec des
roseaux, les enfants avaient tressé des cordes dont nous avions fait des
espèces de brancards pouvant supporter notre ravitaillement et notre matériel,
mais l’ordre de chargement ne fut jamais donné, car nous avons toujours reculé
devant l’inconnue du transport de la subsistance et du logement d’un groupe de
38 personnes dans un pays déjà saturé de réfugiés.
Il y avait aussi
d’autres raisons :
D'abord la
relative quiétude de notre séjour : ainsi que je l’ai précisé plus haut, notre
maison était vraiment isolée et aucun chemin ne pouvait y conduire directement,
car la « charrière »
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normale était
envahie par les ronces et coupée par une partie inondée ; il fallait suivre une
piste escaladant plusieurs talus avec force détours et barrières à franchir
pour nous joindre en partant de la route des Baux qui, elle-même, était déjà
une petit route sinueuse hors du grand courant de circulation qui suivait la
ligne du front.
Aussi c’est par
hasard que des allemands nous trouvaient et toujours des individus à la
recherche de ravitaillement et disposés à piller les demeures abandonnées ;
leur réaction en nous apercevant était toujours la même : surprise d’abord,
puis conseil de partir ; une fois ce conseil prit la forme d’un ordre mais nous
eûmes des doutes sur son caractère officiel et nous n’avons pas obéi.
Dans ce rayon
des visites ennemies, un événement doit être plus particulièrement signalé et
quoiqu’il se situe dans la fin de notre séjour, je pense normal d’en parler ici.
Nous passions toutes les nuits dans l’abri et, un soir, nous venions de nous
endormir malgré les coups assourdis du bombardement des voies de communication
quand le bruit d’une course précipitée nous alerta et, brusquement, 5 allemands
se précipitèrent dans notre abri comme s’ils étaient poursuivis ; nous nous
sommes serrés pour leur faire de la place et haletants ils nous expliquèrent
qu’ils étaient en batterie près de la route des Baux et qu’ils venaient d’être
pris à partie par les américains ; que des obus au phosphore avaient fait des
dégâts et qu’ils se mettaient à couvert.
A ce moment,
l’un d’entre eux se mit à gémir et ainsi nous sûmes qu’il était blessé. Après
une bonne demi-heure un guetteur signale une accalmie et nos indésirables
visiteurs repartirent en transportant leur blessé. Nous ne les avons pas revus
et le lendemain nous n’avons pas retrouvé les canons : tout avait disparu sans
laisser de traces particulières car des points d’impact d’obus étaient si
fréquents autour de notre maison qu’ils ne pouvaient donner aucun indice.
Toujours dans
les visites, il y avait aussi celles de fermiers des environs que les allemands
obligeaient à partir et qui ne pouvant entraîner dans leur exode le bétail
venaient nous les conduire en nous recommandant de traire. En effet les
fermiers savaient que nous avions l’intention de rester envers et contre tous
et que nous disposions d’un grand champ avec un abreuvoir, alors au lieu de
laisser leur cheptel sur leurs terres, ils venaient le mettre dans ce grand
champ et leur souci était d’essayer de conserver la lactation des vaches qui
étaient presque toutes fraîchement vêlées.
Heureusement
parmi les pensionnaires il y avait une forte proportion de fils de fermiers
sachant traire et sans aucune directive de notre part, ils se constituèrent
espèce de commandement spontané qui répartit les vaches entre les trayeurs et
qui institua un tour de traite car nous avions trop de lait et il convenait de
soulager les bêtes en procédant périodiquement à la traite ; les enfants
sentirent cela avec une sorte d’intuition héréditaire et nous avons assisté en spectateur à cette
organisation d’un travail qui nous a stupéfaits car nous avons admiré comment
les bêtes étaient bien connues et comment elles acceptèrent facilement les
soins de nos pensionnaires. Quand chaque matin, nos jeunes fermiers sortaient
de l’abri, leur premier soin était d’aller au champ reconnaître leur bétail et,
malheureusement, de constater souvent
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que la nuit et
son bombardement avalent fait des dégâts : des morts et des blessures qui
désolaient nos soigneurs.
Les jours
suivaient les jours dans un rythme ralenti après les installations du début.
Les repas
étaient toujours préparés par Mme Çachet aidée des dames et si leur
composition manquait de variété ils étalent assez copieux et le problème du
ravitaillement ne fut inquiétant que pendant la dernière semaine. Nous avions
de l’épicerie, de la farine, de la boisson, notre part de viande quand on
allait dans une ferme ; le lait était abondant et grâce à M. Motin une petite
écrémeuse remise en état fournissait la crème qu’une vieille baratte
transformait en beurre.
La cuisson se
faisait dans la cheminée et Madame Cachet apprit par nécessité à cuisiner au
feu de bois et elle devint virtuose dans l'art de préparer son feu et de le
diriger suivant le but poursuivi. Une vieille rôtissoire nous permit même
d'apprécier le fumet inégalé d'un gros morceau de viande cuit a un feu de bois
de pommier.
Les enfants
mangeaient d'abord aux heures ordinaires des 3 repas, ensuite les adultes ; on
s'attardait à table, on bavardait de choses et d'autres mais le moral restait
bon tout au moins en collectivité, car je soupçonne
fort que chacun de nous faisait un examen sincère de la situation et en
appréciant les risques devait comme moi-même subir des périodes de dépression ;
toutefois personne ne le laissait voir et sincèrement l'atmosphère de notre
groupement n'était pas inquiète ; la jeunesse de certains éléments entraînait
la philosophie des éléments plus conscients ; cette philosophie vaut la peine
qu'on l'analyse !
Sinistrés
totaux, ayant la certitude que tous leurs biens mobiliers étaient détruits, que
ces mille objets qui rattachent l'avenir au passé étaient définitivement perdus,
qu'il faudrait repartir à zéro lorsque
la paix serait revenue, ils savaient vivre dans le présent en appréciant sa
saveur, car Ils se considéraient comme miraculés d'avoir échappé à la mort
alors que tout sombrait autour d'eux, que leur maison s'effondrait sur leur
tête, que les éclats des bombes faisaient plus de deux cents victimes !
C'est cette
claire notion du miracle qui revenait dans les conversations avec l'espoir
fermement accroché que puisque nous étions passés au travers de cet enfer, il
était évident que nous avions la « baraka » et que ce qui devrait
nous arriver par la suite ne serait que petit danger après ce que nous avions
subi le 8 Juin et nous faisions même des projets d'avenir en esquissant une
organisation de la France après la tourmente !
Néanmoins, les
loisirs étalent grands, surtout pour les hommes, quand les déplacements de
ravitaillement s’espacèrent avec la disparition des habitants. Comme la lecture
manquait, un jeu de cartes retrouvé assura de nombreuses heures de distraction
car les journées étaient merveilleusement calmes !...
Le front s’est
rapproché certes : les chasseurs américains groupés par quatre virevoltent dans
le ciel et attaquent à la mitrailleuse et à la bombe tout ce qui bouge sur les
routes mais nous y sommes accoutumés. En ce mois de juillet le temps est
magnifique et ces longues journées s'écoulent dans une nature
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resplendissante,
les enfants jouent avec rien et, comprenant sans doute la grandeur du drame où
ils sont plongés, se comportent très bien.
Nous apprenons a
les mieux connaître : certains prouvent qu’ils ont un caractère montrant en
toutes occasions, de la décision, du sang-froid, de l’assurance. Ils sont de
précieux auxiliaires pour les travaux de campement et les besoins du
ravitaillement.
D’autres, des
émotifs, sont affolés par tout bruit insolite et nous les retrouvons souvent au
fond de l’abri ou à l’ombre de la maison. On les voit peu, on ne les entend pas
mais nous n’en avons jamais vu pleurer.
Quelques-uns
disparaissent aussi mais, eux, c’est par paresse et leur seul souci est
d’éviter la petite corvée ; ceux-là on les connaît bien : tels ils étaient en
internat, tels ils sont restés : des égoïstes.
Dans tout ceci
pas question d’âge : on trouve de tout et à tout âge. Toutefois les jeunes sont
apparemment au moins les plus insouciants et ils se sont le mieux adaptés à cet
accident de leur vie !...
Le jour pointe à
4 h ½ et les premières clartés de l’aube
marquent le synchronisme de l’arrêt des tirs de l’artillerie , de l’apparition
des chasseurs et la sortie des enfants qui, trouvant l’abri inconfortable, se
précipitent dans l’étable-dortoir où, sur la paille et le foin, ils achèvent
leur sommeil de la nuit. Leur départ est suivi des adultes qui vont aussi
s’allonger un peu sur les matelas ; et pendant deux heures, la maison est bien
calme.
Mais à 6 h ½ il faut penser à déjeuner et les dames vont se
répartir les tâches pour que dès 7 heures les enfants puissent manger le café
au lait avec leur pain beurré. Après ce sera au tour des adultes quand la
vaisselle aura été faite car elle serait insuffisante pour tout le monde et... la
journée passe.
Au soir, le
crépuscule annonce le commencement des obus et il n’y a pas de traînards pour
aller à l’abri ! d’un côté les enfants, de l’autre les adultes, le tout suivant
un ordre fixé une bonne fois : les femmes au centre avec les enfants, tandis
que les deux jeunes gens restent près de l’entrée, préférant un certain risque
en échange d’un peu plus de place pour s’allonger.
Le bombardement
étant plus intense au début, il était pratiquement impossible de dormir et les
ébranlements du sol causés par les chutes proches risquant de paniquer les
enfants, j’ai décidé de fixer l’attention par la lecture. Nous avions trouvé
dans le grenier de la maison un énorme volume obtenu par la reliure des
fascicules du « Petit Journal illustré » des années 1880. Cette
publication renfermait des nouvelles signées d’auteurs devenus célèbres voire
même classiques ; c’est ainsi qu’à la lueur d’une vieille lampe tempête, je
lisais ces courtes histoires en prenant de préférence celles humoristiques ou gaies
et les principales « lettres de mon moulin » ont contribué à soutenir
le moral de 38 personnes terrées dans un trou dans le rythme martelé des éclats
d’obus.
De temps en
temps, j’écrasais de façon bruyante un moustique indiscret qui, attiré par notre
falot, s’attaquait à ma personne et ces claques avaient le don de faire sourire
mon jeune auditoire, c’était parfait....
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Les minutes
passaient, les coups d’espaçaient et je baissais la voix progressivement
jusqu’au moment où quelques ronflements m’indiquaient d’arrêter et d’éteindre
mon lumignon. Fatigué par la vie au grand air et les exercices pratiques tout
le monde dormait au moins dans les premières heures car la position n’était pas
confortable. Nous étions assis et devions dormir à moitié allongés en posant la
tête sur l’épaule du voisin.
Pour modifier
cette position, nous avons fait des planchettes qui, fixées sur un bâton planté
entre les jambes permettaient de s’accouder et de dormir la tête sur les bras.
Ainsi moitié tête an arrière, moitié tête en avant, nous dormions avec de
brusques réveils causés par une ankylosé ou un 155 tombé trop près.
Il y en eut
plusieurs qui troublèrent notre quiétude. Le matin les enfants se précipitaient
pour trouver le point d’impact et, venant nous chercher, commentaient la
direction, la pénétration et supputaient les risques encourus tant pour nous
que pour les bêtes dont ils se considéraient comme les responsables.
Ainsi, jour
après jour, notre vie s’écoulait dans une ambiance inquiète mais dans un accord
total. Tous les adultes étaient parfaitement disposés à agir collectivement
pour le salut général et les enfants se révélèrent merveilleux faisant même
montre de beaucoup de cran en de nombreuses circonstances.
Il m’est
infiniment agréable de noter l’action des deux Jean, mon neveu et mon fils : le
26 Juillet, notre provision de farine s’épuisait et nous commencions à être
inquiets ; nous savions qu’un moulin existait sur les bords de la Taute, au
fond d’une boucle, et, dans l’espoir d’y trouver de la farine, les deux jeunes
gens décidèrent de s’y rendre avec un sac. En suivant les hautes haies de notre
bocage, ils y parvinrent et chargèrent quelques mesures de farine, mais leurs
mouvements avaient alerté les américains qui étaient en ligne sur l’autre rive
derrière une haie et immédiatement des rafales de balles vinrent s’écraser
autour d’eux et ce fut une fuite éperdue en utilisant tous les couverts... La
chance était avec eux et leur retour fut un grand soulagement pour notre petite
colonie alarmée par l’intensité du mitraillage. Malgré le danger ils n’avaient
pas oublié leur mission et la farine devait servir le lendemain !
En effet M. Hue,
un des derniers fermiers restés à Marchesieux, nous avait proposé de nous faire
du pain et, le soir même, nous allâmes chez lui pour porter la farine et faire
le levain, la panification et la cuisson devant se faire le lendemain.
Mais quand Jean
se présenta à la ferme de M. Hue,il fut reçu par un sous-officier allemand qui
lui tira dessus en criant. Jean connaissait très bien le pays il réussit encore
cette fois à se tirer de ce mauvais pas, mais il avait eu chaud !
Nous apprîmes
plus tard que M. Hue avait fait le levain mais qu’aussitôt après un groupe de
soldats désirant piller sa ferme l’avait obligé à partir aussitôt et qu’il
n’avait pas pu nous prévenir !
Ainsi les deux
périls courus par Jean se révélaient inutiles puisque le pain ne put être
fabriqué. Il fallut réduire les rations et utiliser un peu plus le lait et les
pâtes.
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Mais les signes
avant-coureurs se multipliaient ; les bruits de combat se rapprochaient, les
batteries d’artillerie allemande se déplaçaient tous les jours un peu plus vers
le sud-ouest, les chasseurs descendaient plus bas... et notre moral se
maintenait très haut.
Pourtant un
matin, nous connûmes notre plus grande angoisse : nous avions entrepris de tuer
un veau et l’opération s’effectuait derrière la maison. Le pauvre animal
attaché par les pattes de derrière à une branche de pommier fut saigné et,
comble de raffinement, nous avions entrepris de le gonfler avec une pompe à
bicyclette en effectuant des incisions aux pattes et au ventre.
L’opération se
déroulait lentement mais de façon presque normale quand nous perçûmes un
grondement énorme venant du nord ; un des enfants, grimpé sur le talus nous
cria qu’il apercevait un groupe énorme de bombardiers se dirigeant droit sur
nous ; aussitôt rassemblement des enfants et ensuite dispersion le long d’un
talus perpendiculaire à leur marche. Les bombardiers s’avancèrent passèrent
au-dessus de nous dans un vacarme effroyable car ils n’étaient pas très haut,
puis ils continuèrent vers le sud.
Quelques minutes
après, la terre tremblait sous les explosions que nous avons alors situées à
une dizaine de Km... ce n’était pas pour nous…
Mais derrière,
d’autres vagues arrivaient : les unes venant du nord, les autres venant du nord-est
et qui se plaçaient en alternance, juste au-dessus de nos têtes, pour ensuite
aller jeter leurs bombes dans la même direction. Toutefois, nous constations
que le point de chute se rapprochait.
A ce moment
notre moral était très bas : allions-nous être écrasés par ce rouleau
compresseur d’un genre nouveau ! Nos mesures de protection étaient vaine !
Ce serait trop bête d’avoir tenu si longtemps pour périr si près de la
délivrance !
J’avais fait
grimper un « grand » dans un arbre pour me renseigner sur les
apparitions des vagues et pendant près d’ 1 heure ½ le pauvre guetteur
signalait toujours de nouveaux bombardiers !
Je dois le
reconnaître, j’ai eu très peur et j’ai mesuré sérieusement la grande
responsabilité que j’avais assumée en conservant les pensionnaires et en
refusant de me replier vers le sud !
Pendant ces
instants les enfants et les adultes blottis au pied des « coudres » formant
la haie retenaient leur souffle et attendaient, inquiets, un événement qu’ils
devraient subir passivement.
Enfin un « J’en
vois plus ! » termina nos alarmes et je vous prie de croire que nous fûmes
un bon moment avant de réaliser que nous étions sauvés !
Le repas de la
mi-Journée s’effectua bien tard dans l’après- midi. Le veau attendit en se
balançant sous le pommier et il ne fut pas question de le gonfler : un rapide
dépeçage et un découpage sommaire achevèrent notre journée.
Le lendemain le
ciel était radieux et il nous sembla que les chasseurs descendaient encore plus
bas. Vers midi ils furent remplacés par de petits avions volant lentement et
l’un de ceux- ci dut nous voir car il descendit vers nous. A tout hasard, je
fis étaler 3 couvertures qui pouvaient, avec de la bonne volonté, figurer notre
drapeau tricolore !
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Et la nuit vint.
Au crépuscule nous entendîmes des commandements allemands, des bruits de roues
ferrées et de chevaux sur la petite route des Baux ; quelques enfants
affirmèrent plus tard avoir entendu parler en direction du nord-est... mais je
n'en ai aucune preuve.
Tout le monde
était dans l'abri à 10h et cette nuit nous parut extraordinairement calme : pas
de coup de canon, pas d'éclatements.
Au petit jour
des cris de joie réveillèrent les adultes. Comme je l’ai dit quelques enfants,
réveillés toujours très tôt, sortaient de l'abri dès les premières lueurs pour
aller s'allonger sur le foin dans la maison. C'était eux qui poussaient des
cris de joie ! Ils étaient accompagnés par des américains des troupes de choc
tout surpris de nous voir sortir dans une région absolument abandonnée.
Immédiatement le
contact fut pris : Paulette et Jean qui s'exprimaient en anglais expliquèrent
notre situation : moins de 5 minutes après, un chargement de ravitaillement
nous parvenait. Cette distribution considérable de victuailles, dans une
présentation inattendue, fut un événement marquant. Ouvrant les rations K,
chacun se précipitait sur sa préférence ; les enfants se régalèrent de
chocolat... et de cigarettes ! Les adultes croquèrent des gâteaux, des bonbons
ou allèrent vivement se confectionner un bon café.
Notre joie est
impossible à décrire et avec le recul du temps je revois les soucis qui
s'envolèrent, les douleurs qui s'estompèrent, les sourires, les rires qui
ponctuèrent toutes nos découvertes !
Nous aurions
bien voulu accueillir convenablement nos libérateurs et leur offrir ce dont ils
pouvaient avoir envie ou besoin, malheureusement ils demandaient du Calvados… et
cela nous n'en avions pas !
Et puis les
soldats affluèrent, il en venait de partout précédés de démineurs promenant
devant eux leur grande poêle à frire au ras du sol.
Un officier
arriva, je lui expliquai notre cas (il comprenait le français) et lui demandait
de nous permettre de regagner Périers Il repartit et, quelques instants après,
deux jeep avec remorque venaient nous chercher.
Malheureusement
ils ne prirent pas la direction de Périer mais par Raids et St-Eny nous fûmes
conduits à l'ancien château des Terres rouges.
Libres d'errer
dans le parc, il nous était interdit de sortir. Les américains nous
ravitaillaient très largement et nous passâmes la nuit dans une école.
Oserai-je dire que cette nuit fut la plus mauvaise de toutes ! En effet, nous
étions en plein marais inondé par les allemands pour restreindre les
parachutages et nous fûmes attaqués toute la nuit par des nuées de moustiques !
Le lendemain
matin, dans un camion militaire, je partis avec tous les enfants et en faisant
tout le tour du Cotentin, je remis chaque enfant à ses parents. La joie de
chacun, était énorme et il fallait se fâcher pour éviter les invitations à
arroser ! Les américains ne cédèrent qu'à Vasteville où Mme
Bonnissent nous fit une omelette au jambon qui fut appréciée car nous avions
très faim et ... rien n'y manquait.
Le surlendemain
ce fut le retour des adultes à Périers ou plutôt à ce qu’il en restait.
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Nous retrouvâmes
le C.C. bien abîmé mais habitable et tout heureux d’avoir retrouvé un toit,
nous en fîmes un vrai caravansérail pour tous ceux qui revenaient et qui, sans
foyer, cherchaient à revivre.
Aucune plainte
réelle devant le désastre, aucun découragement : nous ne savions pas ce
qu’allait être l’hiver 44/45 dans un pays sinistré à 90% sans électricité, sans
auto, sans lits, sans vaisselle... au milieu de l’indifférence d’une
administration préfectorale tatillonne et de l’animosité de certains profiteurs
de l’occupation qui ne furent pas punis.
Le groupe réfugié chez Mme Regnault
Allongé : Roger Féron ; de gauche à droite, au premier rang : Désiré Nciollet, Raymond Féron, Max Delbart, Claude Quoniam, Jacques Féron, Daniel féron, Gilbert Martin ; au deuxième rang : N... , Christian Faudemer, Bernard Lefaix, André Féron, Yves Bonnissent, Pierre Féron, Gritot, Bernard Gillette ; derrière : André Nicollet, Auguste Villard dit "Gusu", Bernard Feuardent, Pierre Bonnissent, François Pavie, Louis Nicollet, N... , Pierre Grossin (Jean Heuvet était également du groupe et peut-être Marcel Juste) Périers et ses écoles p. 143.
Bombardier de l'opération Cobra (US Army)
Références :
Henri LEVAUFRE (+), Nous étions tous en Normandie, Marigny, Editions Eurocibles, 689 p.
Mme Marie, Des jeunes filles dans la bataille de Normandie, juin-juillet 1944. Carnet de bord des pensionnaires sous les bombes, Préf. M. Lebas, préfet de la Manche, Alençon, Imprimerie alençonnaise, 1949, 240 p. Ed. originale. https://mhem-carentan.blogspot.com/search?q=Mme+Marie.
Association des anciens élèves de Périers : http://yvesmarion.over-blog.com/article-periers-manche-presentation-du-livre-periers-et-ses-ecoles-et-du-film-une-histoire-d-ecole-106690496.html