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dimanche 9 février 2020

Des élèves du cours complémentaire de garçons de Périers dans la tourmente de 1944. Marcel Cachet, le directeur, témoigne.



Périers après les bombardements (Arch. dép. Manche, Num 5783)

Parmi les villes de la Manche, Périers ne fut pas épargnée. Grandement détruite, la plupart des maisons et bâtiments n’étaient plus que ruines. Le cours complémentaire de jeunes filles n’avait pas résisté à l’incendie. Mme Marie *, la directrice, avait relaté les événements dans un ouvrage publié après-guerre et l’errance des élèves jusqu’à ce qu’elles soient enfin à l’abri.
Les garçons, eux, n’étaient plus dans leur établissement réquisitionné par l’occupant, mais répartis dans des maisons en ville au moment des bombardements. Il fallut quitter Périers. M. Cachet, le directeur et son équipe, prirent la décision d’accompagner un groupe d’élèves pour les mettre à l’abri dans la campagne. Les événements ont été relatés par Marcel Cachet. Ces écrits en forme de témoignage ont souvent été cités mais rarement publiés.
Le lecteur internaute se reportera volontiers aux travaux publiés par l’historien prisiais que fut Henri Levaufre* et, pour ce qui concerne les événements, à l’ouvrage publié en 2012 par l’Association des anciens et anciennes élèves des cours complémentaires de Périers : Périers et ses écoles, histoire et témoignages* et aussi à l’excellent article de Gilbert Martin, l’un des élèves concerné par l’épopée : « Un collégien de Périers dans la tourmente de juin-juillet 1944 », Revue de la Manche, tome 37, 1995, fasc. 148, octobre,  p. 64-71.
Les écrits de Marcel Cachet y sont souvent cités. Mais, à notre connaissance, rarement publiés dans leur intégralité. Nous devons à Colette Tirel-Dupont, qui possédait ces écrits, de nous les avoir confiés, avant sa disparition l’an dernier, pour les publier sur le site de la MHEM. C’est maintenant possible grâce à l’océrisation réalisée par Roland Steiner et à la mise en forme que nous avons effectuée. Le document original était de piètre qualité, cependant, rien n’a été modifié hormis quelques ponctuations rendues aléatoires par la reconnaissance de caractères.
Nous sommes heureux de pouvoir publier ce témoignage particulier d’un directeur de cours complémentaire plongé dans la tourmente, soucieux de la protection des jeunes qui lui étaient confiés.

* voir références en fin d'article.
Yves Marion
26 janvier 2020
Maj 8 février 2020
Marcel Cachet





Qui est Marcel Cachet ?

Marcel Désiré François Cachet est né à Cherbourg le 27 octobre 1900. Elève de l'école normale d'instituteurs de la Manche à Saint-Lô, promotion 1916-1919, il poursuit sa formation à celle de Rouen pour y effectuer la quatrième année.Après son service militaire, il est nommé, en 1922,  à l'EPS de Saint-Fargeau dans le département de l'Yonne. Il y reste jusqu'en 1926 pour rejoindre le département de la Manche où il occupe les postes d'instituteur à La Mancellière, Pont-Hébert, Ducey, Mortain avant d'être nommé à Périers le 1er octobre 1942. Poste qu'il quitte le 31 décembre 1955 pour se retirer dans l'Yonne dans sa propriété de Saint-Martin-des-Champs. 

Officier d'académie en 1949, officier de l'Instruction publique en 1954, il est chevalier de la légion d'honneur le 5 janvier 1956 (JO du 7 janvier 1956, p 293) et s'est viu attribuer la Croix des services militaires volontaires. 

Marié le 27 juillet 1925 avec Hélène Marie Hildebrand, Il aura deux enfants, Nicole et Jean dont il est question dans son témoignage.

Il est décrit comme un jeune homme plutôt longiligne, 1,78 m, aux cheveux bruns et aux yeux bleus (FM classe 1920, Cherbourg, matricule 1047, vue 704/1006)


il décède à Velizy-Villacoublay le 26 avril 1993. 





Témoignage de Marcel Cachet



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Depuis deux jours et trois nuits les escadres aériennes passaient dans le ciel de Périers pendant que dans le lointain les bruits précis des bombes et des canons nous apprenaient mieux que tous les communiqués la proximité relative des combats.

Nous étions dans l’étrange situation morale du croyant alors que la preuve est en route et s’approche à chaque instant.

Dans les rues désertes quelques passants allaient de porte en porte colportant moins des nouvelles que des impressions, des déductions, des espoirs et aussi, mais beaucoup plus rarement, quelques craintes.

Les amis se réunissaient furtivement et célébraient à leur manière cette rentrée de la France dans la guerre qui devait pré­luder dans l’esprit de la plupart au retour de sa grandeur dans la liberté retrouvée.

De temps en temps, un bruit de mitrailleuse orientait les têtes vers une des quatre routes rayonnant autour de Périers ; l’œil distinguait alors sur l’horizon un nuage noir qui s’éle­vait vertical dans un ciel extraordinairement net tandis que le vrombissement ascendant des quatre chasseurs vous arrachait les entrailles : un sourire, un clin d’œil complice...encore un mitraillage réussi !

Ils l’étaient presque tous et depuis 48 heures les grandes artères droites n’étaient fréquentées que la nuit et à des vites­ses folles par des convois hétéroclites T.O.D.T. de Cherbourg descendant vers St-Lô, quelques camions de prisonniers et aussi quelques renforts... mais très peu...

Mardi soir un docteur est mitraillé près de St-Eny en effec­tuant une tournée près de ses malades : première victime civile locale unanimement estimée et dont le destin tragique frappe notre optimisme et alerte les plus calmes !

Mercredi, les réfugiés de St-Lo et Coutances racontent les terribles bombardements de ces deux villes. Voilà qui devrait nous décider à partir et qui, cependant, nous confirme dans notre résolution de rester en affermissant notre croyance à l’impunité. Nous trouvons d’ailleurs de bonnes raisons : ce sont des villes, des croisements de chemin de fer, des centres de garnisons al­lemandes... et justement, tous les occupants ont quitté Périers sauf une douzaine de sentinelles peu dangereuses qui station­nent au sortir du bourg.

La quiétude est générale et hors les allures rapides des piétons, on se croirait un dimanche de Juin comme avant ; dans le parc servant de cour de récréation à l’internat une trentaine de garçons a pris le rythme nonchalant des vacances inactives : les plus âgés lisent à l’ombre des grands arbres tandis que les jeunes jouent aux billes dans la poussière. Leur existence est monotone et la seule vraie distraction est l’examen renouvelé des avions chasseurs virevoltant sur Périers dont ils rasent les toits dans un bruit de tonnerre que l’accoutumance fait paraître sympathique.

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Nous avons fait des provisions d'eau et de pain ; un veau salé permettra d’attendre quelques jours sans complication de menu.

L’avenir est incertain mais notre conviction est que nous aurons un jour ou deux à passer dans le risque mais que notre délivrance est proche... affaire de jours tout au plus !

Le jeudi s’annonce comme la veille : un jour d’attente fiévreuse où l’ignorance des évènements historiques qui se déroulent à nos portes détermine chez tous le désir d’écouter la radio : quelques postes à galène peuvent capter quelques communiqués énigmatiques et déformés. C’est pour aller écouter un de ces petits postes chez un collègue que deux professeurs venus comme de coutume prendre leur petit déjeuner, vont quitter précipitamment l’internat.

Il est 9 h quelques minutes.

Des vagues de bombardiers passent et repassent sur le Bourg. Ils viennent de St-Lo, de Coutances ou ils se dirigent vers Lassay, La Haye du Puits.

Allons ! Périers n’est pas un objectif militaire : pas de bifurcation, pas de troupes, pas de pont… pourquoi un bombardement ? Il y a bien les routes, mais les instructions parvenues à la Résistance demandaient des destructions qui ont été fidèlement exécutées ; si le carrefour devait être obstrué un message au « secteur » et... dans quelques heures ce sera chose faite. Quiétude, calme ; on rit d’une famille qui part - baluchon sur l’épaule - vers la campagne... des froussards !!...

Ils sont vraiment beaux ces avions volant en formations régulières et symétriques et, pour mieux les admirer, Jean braque sa jumelle vers une nouvelle vague semblable aux autres. Ils approchent : 4km, 3km, 2km... Le bruit s’amplifie et les têtes se lèvent !

« Nom de Dieu ! des bombes ! » Dominant le tumulte mécanique, la voix de Jean éclate angoissée, mais claironnante comme un signal de sauvegarde in extremis.

Qu’avons-nous fait pendant les quelques secondes qui s’écoulèrent alors ? Il est très difficile de reconstituer des actes instinctifs, rapides comme la parade d’un coup inattendu et indéfini ! Chacun s’est précipité vers ce qu’il pensait être une protection et aussi vers d’autres êtres chers. Pourquoi ici plutôt que là ? Un vrai mys­tère impénétrable où la destinée se joue sur le choix d'une porte, le rythme d’une course, la position du corps au moment du choc : c’est inexplicable et pourtant il doit exister un flux qui commande ces actes impulsifs car dans la majeure partie des cas le choix du lieu s’est révélé heureux !

Des témoignages recueillis aussitôt après, il semble que les enfants ont adopté deux solutions : l'écurie ou l’éparpillement dans le parc, pendant que ma famille s’est précipitée dans la cuisine !
3 bombes : 2 sur la maison, 1 dans le parc... un bruit terrible ? Non… une impression indéfinissable de choc suivi d’un courant d’air chargé de vitres brisées, d’éclats, de pierrailles qui vous claque le visage comme un soufflet fantastique qui fait tituber les plus solides. Puis l’écroulement de la maison qui oscille et s’effondre par pans successifs dans un bruit clair de pierres sèches.

Vous ouvrez les yeux et vous avez la certitude d’être au moins aveugle ; vous criez et votre bouche s’emplit de poussière gluante et happante ; d’autres cris vous répondent et leur nombre vous est

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un premier réconfort.

"Les gaz" hurle mon neveu, qui distingue le rectangle irrégulier d’une fenêtre voilée par une teinte jaune correspondant à l’odeur soufrée de la poussière.

La lumière revient vite et par le reste de la porte nous nous précipitons au dehors en criant et en nous étreignant.

Des cris partent d’en haut ; quelle joie inconcevable envahit le cœur : les filles sont vivantes sur ce qui reste du premier. Les gestes sont rapides : pendant que Madame Cachet regroupe tous les enfants, une escalade sur les décombres permet d’atteindre la corniche d’où les cris sont partis et, toujours très vite, la descente s’effectue vers le cellier où nous nous blottissons croyant encore à la protection d’un faible toit !

Une nouvelle vague… des bombes… Une troisième vague : des bombes, mais plus loin…      Un coup d’œil anxieux vers l’horizon et, rassuré, je fais un appel des enfants : chaque « présent » est un réconfort, chaque tête nouvelle entrevue est une source d’espoir, hélas ! Lucien n’est pas avec ses camarades… cris, recherche... rien... On espère pourtant malgré le fait indéniable de sa mort : il était couché, malade, et la bombe est tombée près de son lit ! D’ailleurs les événements commandent des solutions immédiates ; les avions peuvent revenir, ils reviendront même certainement car le carrefour est intact : protégeons les vivants en les mettant hors de l’objectif : chaque pensionnaire prend un pain couvert de poussière, criblé d’éclats de pierre et c’est la fuite en colonne vers la campagne.

Ce premier départ est trop rapide pour qu’il soit documenté sur l’état de la ville, nous courons hagards, fiévreux presque hallucinés comme des bêtes épouvantées, vers les champs bordant le Bourg, à droite, à gauche, sautant les haies, couchant les clôtures des concitoyens nous rejoignent et s’agglutinent à nous qui donnent l’apparence d’un groupement déjà coordonné. Visages défaits, vêtements poussiéreux des effrayés, visages sanglants, vêtements en loques des sinistrés : l’épouvante est partout ! Des vieillards blessés à la tête perdent le sang en abondance ; une autre a des varices percées et le sang coule, coule, dessinant des sillons dans la couche de poussière ocre !

Enfin, toute notre, bande est éloignée : un court arrêt pendant lequel on examine les blessés tandis que les plus valides et surtout les mieux équilibrés reviennent à la maison.

En effet, il fait soigner les blessés et s’occuper de la nourriture. Pour les premiers quelques pansements, quelques produits sont en dépôt dans un local épargné : une visite et les premiers soins vont pouvoir être donnés. Dans l’énervement certains actes impossibles de sang-froid sont exécutés, les plaies sont nettoyées désinfectées, pansées et sur les visages le calme revient.

Vite un premier examen nous révèle une blessure très étendue à la fesse, une blessure sérieuse a la tête et beaucoup de blessés légers ou de contusionnés.

Parmi eux Paul souffre beaucoup au côté gauche : déshabillage, une contusion étendue, sans plaie, sous les côtés gauches : tout ce qu’il est possible de faire se résume à des compresses et à des

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comprimés et pourtant son visage se creuse rapidement, son teint devient jaune, ses yeux s'allument de fièvre ; à chaque mouvement il crispe son manque, il tente de se lever mais retombe sur le sol. L’impuissance à soulager ce brave petit est particulièrement cruelle ; les docteurs sont morts nous le savons et il nous faudra essayer encore nos procédés simplistes.

Dans les décombres de la maison nous retirons et transportons quelques matelas et couvertures pour les blessés et les femmes tandis que des boites de conserves vont avec le pain assurer la nourriture des personnes rassemblées dans un chemin creux.

Maintenant que le plus pressant est fait pour notre groupe [nous] retournons dans les ruines. Inutile d’essayer de faire des descriptions… tous les pays bombardés se ressemblent ; cependant un groupe tente de retirer des décombres une voisine qui appelle au secours… Nos efforts s'ajoutent, hélas vainement car le feu gagne et quelques heures plus tard tout sera fini : la joie paisible d'un foyer uni pour lequel la vie semblait réserver toutes les faveurs n'est plus qu'un souvenir tandis que les volutes d'une fumée bleuâtre s'échappent des poutres enchevêtrées au-dessus du sommier écrasé qui fut le gros obstacle des tentatives de sauvetage.
Et les renseignements nous parviennent sur l'étendue du désastre : les pauvres Lebourgeois et Letrelluger ont péri avec toute la famille Leroux ; la famille Cosnefroy, la famille du Docteur Besnard, d'autres, d'autres encore sont disparues.

L'accablement nous gagne, et comme des automates nous prenons un chargement de victuailles et nous rejoignons les enfants dans le chemin creux ; c'est au cours de ce retour que nous rencontrons Mlles Lerouxel qui nous indiquent la présence de M. Motin blessé à la cuisse et se reposant dans un champ voisin. Avec l'aide d'un jeune homme, nous transportons le blessé dans le chemin creux où nous allons camper en attendant les américains... car notre optimisme est invulnérable et nous sommes persuadés que le bombardement du matin est une couverture immédiate de l'avance alliée dont les premiers éléments sont sur la route entre Carentan et Périers. Entendons-nous bien, notre opinion peut paraître candide, mais elle était unanime parmi la centaine de réfugiés du chemin creux et elle était raisonnable car elle correspondait à, la faiblesse des contingents allemands de couverture, à leur moral, à la supériorité aérienne alliée mais aussi à ce que nous pensions en Français pour lesquels le massacre de femmes et d'enfants alliés ne pouvait se justifier que dans une action proche d'un combat décisif et non pas dans une vague mesure générale de terreur. Nous attendions les chars américains, mieux... nous les entendions ; notre imagination jouant, nous transformions tous les bruits en les interprétant selon nos vœux !

Faisons le point : deux heures dans un chemin très encaissé ; 60 personnes environ dont 3 blessés graves et beaucoup de blessés légers : optimisme craintif de la plupart.

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Deux problèmes immédiats : les soins aux blessés et l'organisation d'un cantonnement.

Grâce à une mallette de pharmacie sauvée par M. Motin et au dévouement de quelques-uns les pansements sont révisés et même une demi-injection de sérum antitétanique est faite aux deux grands blessés. M. Motin constate alors que l'éclat de bombe qui a pénétré à la face antérieure gauche de la cuisse est sorti à l'intérieur après avoir traversé le membre près de l'os : nouvelle réconfortante car l'intervention chirurgicale ne s'impose plus.

L'état de Paul ne s'améliore pas, la fièvre augmente visiblement Que peut-il bien avoir ? en l'absence de docteur, le pharmacien passe et conseille de continuer les compresses tièdes.

Le cantonnement s'annonce mieux. Un hangar au bout du chemin, route de Carentan, fournira la paille malgré les protestations égoïstes de son propriétaire. Deux clôtures faites de branches entrelacées fermeront assez le chemin pour atténuer le courant d'air. Chacun s'installe dans son petit coin en utilisant au maximum les couvertures et les quelques matelas. Le repas du soir est triste.
Mais la lassitude l'emporte et dans la nuit venue les voix s'éteignent l'une après l'autre tandis que profitant de l'ombre, des autos, des chars passent à toute allure sur la route toute proche de Carentan.

Cet assoupissement n'est pas le sommeil et le vent qui se met à souffler accentue l'incommodité de notre situation ; parfois le gémissement d'ailleurs discret d'un blessé réveille les voisins mais Paul se plaint plus fortement : il réclame sa mère, se dresse, urine et... la reprise des fonctions amène quelque espoir ! hélas, quand le petit jour rend de l'activité au cantonnement, le pauvre gosse a terminé ses souffrances ! Dans un bas chemin, sur un matelas avec une couverture, il s'est définitivement échappé de notre pauvre humanité si folle et si stupide qu'elle tue anonymement un pauvre gosse dont tous appréciaient la gentillesse, la docilité et la bonne volonté, sans avoir le baiser de sa mère, sans paroles consolatrices, loin de sa maison, mort atroce stoïquement subie sans plaintes, sans lamentations, voilà la mort de Paul Abraham, grand garçon de 15 ans qui rejoignait dans l'au- delà les quatre professeurs qui l'aimaient.

Mais, passons… les événements commandent toujours. Le maire de St-Sébastien de Raids que je vais chercher assure le transport du corps et celui des blessés que d'ailleurs il logera chez lui tandis que le reste trouve un cantonnement dans une ferme voisine chez M. Lemelletier : triste cantonnement d'ailleurs dans une étable pas très propre et pas très close mais l'accueil est sympathique et la paille n'est pas épargnée. Les enfants s'étendent avec délice dans la paille fraîche et le soir tout le monde s'endort calmement malgré la venue près de la ferme d'un détachement de « tigres » qui, eux aussi, cantonnent dans le chemin couvert qui prolonge la route venant de Périers.

Ainsi que je l'ai dit plus haut, les blessés sont dans une chambre de M.  Thézard où ils sont soignés avec l'aide et les conseils du pharmacien Levavasseur qui se montre dévoué et oublie même ses intérêts personnels qui l'appelleraient à Périers.

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La nourriture se fait dans le local servant de cantine scolaire et en plusieurs services, en utilisant un matériel rustique, •Tout notre groupe mange à sa faim car notre approvisionnement s’est sérieusement renforcé ; en effet M. Thézard assure 2 voyages à Périers où nous retirons des décombres, des conserves, des haricots secs, des pâtes et du sel. Cette base est complétée par une livraison de 300 kg de farine que Mme Paint, notre boulangère, met à ma disposition sur le stock de réserve qu’elle maintenait hors du Bourg.

Entre temps, grâce au concours du Maire, du curé, du Charpentier et du fossoyeur notre pauvre Paul est inhumé, avec une bénédiction écourtée, le dimanche matin au petit jour…

Par ce clair matin du dimanche 11 Juin la longue route droite légèrement ondulée qui constitue l’artère unique de St-Sébastien prend une activité anormale de camions, de motos et même de chars allemands : une division de S.S. qui monte du sud vers St-Eny en évitant la grande route.
Les services s’installent dans les champs bordant la route et les allées et venues s’accentuent !
Notre asile devient moins sympathique mais nous préparons quand même le repas ; cependant l’afflux sens cesse croissant des allemands rend notre situation plus exposée car les avions viennent de passer au-dessus de nous… ils repassent... ont-ils observé cette condensation anormale ? c’est probable !... alerte ! nos pauvres hardes sont chargées sur un mauvais camion, la cuisine est abandonnée et notre troupe se sauve par le chemin couvert qui, au travers du marais, conduit chez Ludovic en Marchesieux. Les gosses, sentant le danger, font le maximum d’efforts pour gagner un nouveau refuge. Pendant ce temps le pharmacien, infirmier dévoué de tous les réfugiés au sud de Périers, prévient les blessés qui évacuent eux aussi une chambre trop exposée. Ils traversent la route.

Ouf ! il était temps ! Le premier chasseur - prenant la route en enfilade - mitraille la bourgade, un second suit, puis un troisième... et la danse infernale continue...

Jean revenu pour aider les blessés, s’échappe par le marais et pour se protéger traverse la rivière à la nage pendant que les blessés, Paulette & Jeannine se blottissent sous une haie près de la maison Lasseret.

La mitraillade continue... Une maison flambe, bien d’autres sont atteintes tandis que les boches gagnent les talus et débouchent dans le petit chemin de Lasseret au moment même où une carriole de chez Ludovic traverse les marais en face pour venir chercher les blessés.

Le retour est angoissant : la route de Marchesieux que nous devons emprunter pendant 1 km est sillonnée de convois ; notre carriole, prise au milieu de voitures allemandes, active l’allure tandis que les regards de tous scrutent le ciel en souhaitant ardemment qu’il reste calme ! Quel soupir de soulagement quand,

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enfin, la carriole tourne à droite dans le petit chemin qui mène à la ferme de Ludovic; mais aussi quel accueil cordial  & simple où tous, maître comme domestiques offrent aux réfugiés leur bonne volonté, leurs vivres et leurs demeures.

Comme nous sommes nombreux, nous nous installons dans 3 petites maisons éloignées d’une centaine de mètres du corps principal du logis. Une cuisine où nous mangeons par fractions, une réserve pour nos victuailles, deux grandes pièces servant de dortoirs. Nous passons là quelques bonnes journées par un temps superbe alors que les obus ne troublent pas encore la sérénité de la campagne.

Les enfants couchent dans des draps sur la paille et acceptent facilement ces dures conditions de vie. Le voilà le camping où chacun apporte ses aptitudes et son ingéniosité pour assurer le ravitaillement et le logement de tous.
Pour les corvées de lait, d'eau, de pain, de bois, de cidre les volontaires sont nombreux : pas de plaintes, pas de disputes ! Dès maintenant il nous est permis de constater que nos enfants se sont montrés à la hauteur des événements, certains même ont montré une détermination, une énergie, un « cran » que des adultes pourraient envier. Privés de tout confort, ils ont souri, chanté, joué sans que la contrainte soit nécessaire pour maintenir un état d'esprit favorable. Ils méritent d'en être félicités.

Voyons, une fois pour toutes, comment se passe notre journée. Pendant toute cette période elle sera identique :
Au jour, vers 5 heures, les plus matinaux sortent et aident à la confection du déjeuner : du café à la turque et le lait ne manque pas grâce à M. Lesaulnier, providence de tous les ré­fugiés dans sa ferme.
Vers 7 heures, c'est le premier service de tous les enfants chacun prend son assiette pleine d'un café au lait bien sucré et trempe son pain bien beurré mais déjà rationné ; lavage im­médiat de la vaisselle et c'est le second service des grandes personnes avec le même menu.
Puis, ce sont les soins aux blessés : pansements et déjeuners ; tout se passe pour le mieux et les plaies ont bon aspect grâce aux soins énergiques malgré leur simplicité !
Les adultes valides procèdent aux opérations ménagères de cuisine, de ravitaillement, de lavage et de nettoyage. Parmi celles-ci le déplacement à Marchesieux est une des plus pittoresques : le mardi et le vendredi la commune de Marchesieux distribue le pain, plus tard le boucher vendra aussi de la viande. Il est nécessaire de participer à ce partage, aussi, une petite troupe part de bonne heure : deux ou trois adultes et autant d’élèves qui traînent la remorque.
Durant les 5 à 6 km de trajet, il faut se dissimuler des chasseurs américains afin d'éviter une méprise ; il faut aussi éviter les rencontres avec les allemands qui n'hésitent pas à s’emparer de nos provisions au retour.

Au bourg de Marchesieux la venue de tous les réfugiés

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prisiais orée une animation près de la boulangerie, du boucher et aussi du café-épicerie-mercerie qui profite du dénuement des sinistrés pour leur vendre à prix fort des marchandises de mauvaise qualité !

Toutefois la proximité du front s’accentue à chaque visite et nous ne nous attardons pas sitôt servis, sitôt en route l’œil et l’oreille prêts à déceler le point où le bruit suspect dans le ciel à moins que ce ne soit un convoi allemand filant à toute allure avec un ravitaillement précieux et attendu, une relève de troupes hâves et déguenillées marchant en deux colonnes dans chaque fossé ou encore des motocyclistes portant quelque pli urgent ; c’est l’image de l’immédiat arrière-front avec ici l’inquiétude d’une surveillance constante des chasseurs américains prêts à piquer sur tout ce qui circule.

Le repas de midi se fait suivant le même rite et il comporte un plat de viande et des légumes que tout le monde apprécie tant il est vrai que la vie au grand air nous rend moins difficiles.

Pendant l’après-midi les enfants jouent ou bricolent, les adultes continuent l’aménagement en essayant de rendre habitables nos deux dortoirs malgré les moyens restreints dont ils disposent ; quelques visites entre réfugiés, quelques échanges de petits services et aussi des conversations où les plus « gonflés » tentent de remonter le moral des plus déprimés, achèvent en général l’après- midi des premiers jours alors que l’espoir reste vif d’une libération prochaine favorisée par un temps radieux.

Après le repas du soir - d’un menu souvent identique au déjeuner - quelques heures de repos aux propos mélancoliques nous conduisent au coucher.

Pendant 10 jours il en sera ainsi avec une monotonie troublée seulement deux soirs par quelques murmures d’obus allant échouer sur la ferme de Quellette près du campement de la famille Garlan. Un frisson chez la plupart d’entre nous accompagne cette révéla­tion brutale de la guerre et quelques sommeils sont particulièrement agités ces nuits-là.

Une certaine quiétude se crée malgré la venue d’un détachement d’allemands dans les prés de la ferme. Le major de cette unité apprenant l’existence de nos blessés vient nous voir; il parle correctement le français et désireux de se créer une distraction il revient avec un poste de T.S.F portatif : une belle réalisation ce poste, il capte excellemment toutes les émissions mais quand le major veut nous faire entendre les « anglais » nous devenons indifférents et engageons entre nous une conversation banale... Sait-on jamais? l’essentiel est le rouleau de sparadrap dont il nous fait cadeau et qui permettra nos pansements car les bandes manquent.

Le jeudi 22 juin, cette quiétude est brusquement troublée : deux motos débouchent dans notre petit chemin de terre puis peu après une voiture de liaison allemande dépose un lieutenant qui déclare en mauvais français « à midi, nous partir ». L’exposé de notre situation apporte aucun délai… et il nous faut chercher un autre abri... Où ? Dans l’intérieur des terres il existe une ferme... Une visite au fermier M. Danguy qui veut bien venir chercher nos blessés en carriole ; il reviendra avec 2 voitures pour les blessés les enfants

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et transporter nos réserves et notre petit matériel.

Tout le monde se met en route sur un chemin boueux long de plus d’un km.
L’arrivée à la nouvelle ferme est lamentable et il est permis d’affirmer que c’est ce jour-là que notre moral fut le plus bas. Les causes ? L’accueil manquant de cordialité, l’état lamentable des locaux possibles, la perspective d’autres déplacements… tout cela à la fois venant après Ludovic Lesaulnier !

Nous allons chercher ailleurs... Le fermier nous y aide… Une première ferme abandonnée en bordure des Baux ne peut être retenue… une seconde, inhabitée depuis 20 ans, mais en excellent état, est adoptée d’emblée avec l’accord immédiat de sa propriétaire Mme Regnault. Les raisons ? Sa situation isolée mais surtout l’absence de tout chemin pour y aller un véritable ermitage insoupçonné de la route.

Chacun prend un chargement :  M. Danguy recharge les blessés et le ravitaillement, et vers 6 heures nous commençons notre nouveau cantonnement.

Le moral est redevenu « beau fixe » et dans la nuit tombante les enfants chantent avant que la fatigue de cette journée épuisante ne les terrasse.

Deux jours pour achever notre installation : construire une table avec les ruines d’une vieille maison ; curer le puits, aménager l’accès d’un vieux chemin… et notre vie reprend dans un calme trompeur.

Le soir les enfants jouent avec Mosquito, le chien de M. Motin ; nous avons l’impression d’appartenir à une humanité primitive où les besoins sont minimes et vite comblés grâce à nos provisions…
           
Pourtant il nous faire face à des problèmes successifs que nous résoudrons pour le mieux : le premier est celui du vêtement. Quand les bombes sont tombées les enfants avaient une culotte, une chemise, une blouse, la plupart étaient en chaussons ; tout cela est dans un état désastreux et il faut envisager une restauration de la garde-robe.

Monsieur le Curé prend l’initiative d’une collecte qui nous procure quelques culottes, des blouses ; nos voisins les Leforestier coupent des draps pour confectionner des chemises... chez M. Cousin j’achète quelques chaussures, quelques sabots et tout le monde se trouve un peu plus présentable !

Le second est celui de l‘hygiène : malgré nos conseils répétés, les enfants se lavent mal et leur linge est souillé.

Les soins corporels s’effectuent dans une petite cabane de feuillage aménagée dans l’angle du champ derrière le puits... les enfants s’y prêtent comme à un jeu et les résultats sont immédiatement heureux ; cependant certains sont habités par des parasites et pour s’en débarrasser il nous faut adopter une solution héroïque : M. Nicolle prend sa tondeuse et les boucles tombent avec leurs hôtes ; les enfants ont accepté de bonne grâce car ils se rendent compte que ce sacrifice était nécessaire...

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d’ailleurs les adultes éprouvent une très grande difficulté à se libérer de ces envahisseurs désagréables et dangereux… Enfin des cas de gale sont plus sérieux car les moyens de lutte sont plus difficiles à trouver. Nous fabriquons une pommade avec du beurre et le soufre d’une mèche à tonneaux... les résultats sont médiocres et jusqu’à la fin la gale atteindra la plupart des enfants, mais les dégâts seront souvent limités.

En effet, la vie au grand air, avec parfois des exercices violents a fortifié tout le monde et pendant 8 semaines nous n’avons pas eu un seul rhume, une seule maladie sérieuse ; les incidents sanitaires se bornent à des coliques causées par des digestions brusques et, surtout, par le séjour du jus de cuisson des haricots dans un seau galvanisé : ce jour-là c’est une procession ininterrompue derrière toutes les haies avoisinantes.

Un autre problème est celui du pain : nous avons de la farine en quantité suffisante mais il faut boulanger ; M. Dangy veut bien mettre son four à notre disposition, faire le levain et la cuisson : c’est l’essentiel mais ce n’est pas le plus difficile. Il faut transporter le pain, soit 12 grosses miches de 6 kg au milieu des troupes allemandes qui stationnent entre la ferme et notre maison et qui circulent sur la route des « Baux » que nous devons traverse : une douzaine de volontaires viennent prendre le pain.

L’expédition commence. En colonne, avec 2 éclaireurs, l’équipe procède par bonds qui successivement traversent le jardin déjà secoué par les obus, un vallon très humide et la fameuse route dans un tournant abrité des vues, puis des champs avec des haies touffues dans un long détour, nous amènent au voisinage de la maison où nous sommes impatiemment attendus !

Deux fois la mime opération sera réussie après des alertes, des stations, des courses qui, au fond, ne sont pas pour déplaire à nos enfants à qui elles offrent un dérivatif actif dans une existence monotone...

Hélas, c’était trop beau ! Une nuit du début de Juillet, nous étions tous couchés quand, vers 4 heures du matin, nous entendons venant de la route de St-Lô à Périers un bruit de chars. Ce bruit a sans doute été perçu par les américains car, brusquement, un éclair illumine les arbres devant la maison et aussitôt le sifflement d’un obus qui passe au-dessus de la maison... quelques secondes après une explosion !

Puis éclairs, sifflements et explosions se succèdent à un rythme accéléré : tout le monde est éveillé les enfants et les femmes s’inquiètent... il y a de quoi ! pendant une heure nous sommes sous la trajectoire d’un tir d’interdiction sur la route de St-Lô : un vrai feu d’artifice qui parfois se rapproche moins de 200 m et dont les spectateurs sont impuissants et passifs n’ayant même pas la fièvre du combattant qui peut, lui, répondre.

Enfin, vers 6 heures, tout ce tintamarre cesse subitement et nous sortons voir les dégâts dans les haies et les pommiers ; cette vision crée une frayeur rétrospective et nous décidons de construire immédiatement un abri...

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Les voisins nous prêtent pelles et houes et le piquetage étant fait... il n’y a pas de paresseux.

L’abri sera creusé au pied d’un de ces larges talus qui séparent chez nous les herbages et servent de barrière pour le bétail.

Les obus venant de l’est, nous choisissons une haie convenable et sur son côté ouest nous commençons. Tout le monde y met son cœur et très rapidement la tranchée prend tournure. Nous creusons un long sillon car nous sommes 38 et nous aménageons le sol de façon à confectionner un siège sur toute sa longueur.

A 17 heures les terrassements sont terminés ; il reste la couverture. L’état-Major de notre groupe examine les matériaux possibles et utilisables et très rapidement nous décidons : les poutrelles et chevrons d’une maison abandonnée à quelques centaines de mètres constituent un premier lit sur lequel nous mettons des rondins et dessus une bonne épaisseur de la terre de déblai ; enfin nous transportons les fagots d’un énorme fagotier voisin. Quelques centaines de fagots bien disposés doivent assurer une bonne protection contre les obus, qui, nous l’avons constaté ont leur fusée réglée très sensible et explosent dès le premier contact avec obstacle.

Le transport de ces fagots nous a pris plusieurs heures et la nuit tombe quand le travail est fini. Le repas du soir est rapidement englouti et il ne faut pas faire acte d’autorité pour envoyer tout le monde se mettre dans l’abri.

Permettez-moi d’insister cependant sur cet événement. Il marque pour nous un tournant dans notre existence. D’abord il nous renseigne sur la marche des événements : les américains ne sont plus très loin quelques kilomètres, au maximum, car ce sont des obus d’artillerie de campagne, voire de chars que nous avons reçus ; ensuite; leur tactique logistique est claire : pour interdire le ravitaillement des allemands en ligne ils contrôlent, par leurs magnifiques chasseurs bombardiers, toutes les routes pendant le jour, mais la nuit arrivée ils procèdent à des tirs d’interdiction sur les routes derrière le front.

Dans le jour pas d’artillerie sauf en cas de riposte et de tir de contre-batterie mais alors peur nous il n'y a jamais surprise car les premiers coups partent toujours des batteries allemandes qui avoisinent et nous en sommes assez près pour entendre les hurlements des chefs qui sont des commandements de tir Nous sommes prévenus et tout le monde se précipite dans l’abri !

 Aussi les journées s’écoulent de façon assez normale avec un horaire assez lâche car les problèmes doivent être résolus par des solutions empiriques avec des moyens de fortune.

C’est ainsi qu’il nous faut assurer la constitution de réserves pouvant être soustraites à la vue des visiteurs allemands. Nous creusons un trou en forme de parallélépipède rectangle de 2 m sur 1 m avec une profondeur de 1 m. Nous disposons un faux plancher sur lequel nous plaçons les provisions les plus précieuses : farine, haricots, sucre, chocolat, conserves.

Puis, sur quatre chandelles, nous plaçons un faux plafond de bois sur lequel nous remettons les plaques de gazon que nous avions soigneusement découpées. Ainsi aucun signe extérieur ne

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décèle notre cachette et ce serait parfait sauf le cas d’un passage d’un corps lourd, sur notre cave ; c'est ce qui arrive une fois où une de nos vaches mit malencontreusement la patte sur le faux plafond et enfonce une partie de la plaque ; heureusement le mal ne fut pas grand et rapidement tout fut remis en état.

J’ai parlé des visites : nous en avons reçu plusieurs.

D'abord celles sympathiques : quelques amis de Périers sont venus nous voir et nous ont donné quelques nouvelles de nos concitoyens ; petit à petit tout le monde évacue et se dirige vers le sud avec quelques pauvres affaires ; les causes en sont les bombardements, la lassitude, le ravitaillement difficile et parfois aussi les ordres allemands.

D'ailleurs, nous commençons à nous en apercevoir au cours des rapides explorations effectuées autour de notre campement. Ici et là nous trouvons des fermettes abandonnées et des traces de pillage ; les fermes situées loin des routes sont encore habitées et grâce à elles nous aurons un contact français pendant les 20  premiers jours de Juillet.

Une visite très sympathique fut celle du docteur de Feugères. Qu’il soit remercié ce brave docteur : brave dans tous les sens car il fallait un joli courage pour franchir les 5 km qui nous séparaient du joli petit bourg de sa résidence mais il avait appris notre implantation et l’existence de blessés. Alors très simplement nous le vîmes arriver et après avoir constaté l'excellence de l’état sanitaire, il nous donna quelques conseils pour soigner nos blessés avec nos possibilités. C’est ainsi que la gale fut contenue et même recula et que la cicatrisation des grandes plaies fut accentuée par une pommade à base de beurre et de jus de carottes. Cette visite donne un bon moral à tout le monde et, encore une fois, je tiens à exprimer ici ma gratitude pour cette solidarité spontanée.
Nous avions aussi des visites d'adieu des habitants du voisinage dont le moral craquait et qui, brusquement, décidaient d’aller sur les routes après avoir juré la veille eu le matin même que ce n’était pas une solution.

C’est toujours poignant ces adieux et pour nous c’était en plus démoralisant ! Soyons sincères ; nous avions aussi nos moments pénibles et certains jours l’envie de partir était bien grande...  Si grande que nous avons préparé tout, en vue d’un départ proche.

Avec des roseaux, les enfants avaient tressé des cordes dont nous avions fait des espèces de brancards pouvant supporter notre ravitaillement et notre matériel, mais l’ordre de chargement ne fut jamais donné, car nous avons toujours reculé devant l’inconnue du transport de la subsistance et du logement d’un groupe de 38 personnes dans un pays déjà saturé de réfugiés.

Il y avait aussi d’autres raisons :

D'abord la relative quiétude de notre séjour : ainsi que je l’ai précisé plus haut, notre maison était vraiment isolée et aucun chemin ne pouvait y conduire directement, car la « charrière »

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normale était envahie par les ronces et coupée par une partie inondée ; il fallait suivre une piste escaladant plusieurs talus avec force détours et barrières à franchir pour nous joindre en partant de la route des Baux qui, elle-même, était déjà une petit route sinueuse hors du grand courant de circulation qui suivait la ligne du front.

Aussi c’est par hasard que des allemands nous trouvaient et toujours des individus à la recherche de ravitaillement et disposés à piller les demeures abandonnées ; leur réaction en nous apercevant était toujours la même : surprise d’abord, puis conseil de partir ; une fois ce conseil prit la forme d’un ordre mais nous eûmes des doutes sur son caractère officiel et nous n’avons pas obéi.

Dans ce rayon des visites ennemies, un événement doit être plus particulièrement signalé et quoiqu’il se situe dans la fin de notre séjour, je pense normal d’en parler ici. Nous passions toutes les nuits dans l’abri et, un soir, nous venions de nous endormir malgré les coups assourdis du bombardement des voies de communication quand le bruit d’une course précipitée nous alerta et, brusquement, 5 allemands se précipitèrent dans notre abri comme s’ils étaient poursuivis ; nous nous sommes serrés pour leur faire de la place et haletants ils nous expliquèrent qu’ils étaient en batterie près de la route des Baux et qu’ils venaient d’être pris à partie par les américains ; que des obus au phosphore avaient fait des dégâts et qu’ils se mettaient à couvert.

A ce moment, l’un d’entre eux se mit à gémir et ainsi nous sûmes qu’il était blessé. Après une bonne demi-heure un guetteur signale une accalmie et nos indésirables visiteurs repartirent en transportant leur blessé. Nous ne les avons pas revus et le lendemain nous n’avons pas retrouvé les canons : tout avait disparu sans laisser de traces particulières car des points d’impact d’obus étaient si fréquents autour de notre maison qu’ils ne pouvaient donner aucun indice.

Toujours dans les visites, il y avait aussi celles de fermiers des environs que les allemands obligeaient à partir et qui ne pouvant entraîner dans leur exode le bétail venaient nous les conduire en nous recommandant de traire. En effet les fermiers savaient que nous avions l’intention de rester envers et contre tous et que nous disposions d’un grand champ avec un abreuvoir, alors au lieu de laisser leur cheptel sur leurs terres, ils venaient le mettre dans ce grand champ et leur souci était d’essayer de conserver la lactation des vaches qui étaient presque toutes fraîchement vêlées.

Heureusement parmi les pensionnaires il y avait une forte proportion de fils de fermiers sachant traire et sans aucune directive de notre part, ils se constituèrent espèce de commandement spontané qui répartit les vaches entre les trayeurs et qui institua un tour de traite car nous avions trop de lait et il convenait de soulager les bêtes en procédant périodiquement à la traite ; les enfants sentirent cela avec une sorte d’intuition héréditaire et  nous avons assisté en spectateur à cette organisation d’un travail qui nous a stupéfaits car nous avons admiré comment les bêtes étaient bien connues et comment elles acceptèrent facilement les soins de nos pensionnaires. Quand chaque matin, nos jeunes fermiers sortaient de l’abri, leur premier soin était d’aller au champ reconnaître leur bétail et, malheureusement, de constater souvent

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que la nuit et son bombardement avalent fait des dégâts : des morts et des blessures qui désolaient nos soigneurs.

Les jours suivaient les jours dans un rythme ralenti après les installations du début.

Les repas étaient toujours préparés par Mme Çachet aidée des dames et si leur composition manquait de variété ils étalent assez copieux et le problème du ravitaillement ne fut inquiétant que pendant la dernière semaine. Nous avions de l’épicerie, de la farine, de la boisson, notre part de viande quand on allait dans une ferme ; le lait était abondant et grâce à M. Motin une petite écrémeuse remise en état fournissait la crème qu’une vieille baratte transformait en beurre.
La cuisson se faisait dans la cheminée et Madame Cachet apprit par nécessité à cuisiner au feu de bois et elle devint virtuose dans l'art de préparer son feu et de le diriger suivant le but poursuivi. Une vieille rôtissoire nous permit même d'apprécier le fumet inégalé d'un gros morceau de viande cuit a un feu de bois de pommier.

Les enfants mangeaient d'abord aux heures ordinaires des 3 repas, ensuite les adultes ; on s'attardait à table, on bavardait de choses et d'autres mais le moral restait bon tout au moins en collectivité, car je soupçonne fort que chacun de nous faisait un examen sincère de la situation et en appréciant les risques devait comme moi-même subir des périodes de dépression ; toutefois personne ne le laissait voir et sincèrement l'atmosphère de notre groupement n'était pas inquiète ; la jeunesse de certains éléments entraînait la philosophie des éléments plus conscients ; cette philosophie vaut la peine qu'on l'analyse !

Sinistrés totaux, ayant la certitude que tous leurs biens mobiliers étaient détruits, que ces mille objets qui rattachent l'avenir au passé étaient définitivement perdus,  qu'il faudrait repartir à zéro lorsque la paix serait revenue, ils savaient vivre dans le présent en appréciant sa saveur, car Ils se considéraient comme miraculés d'avoir échappé à la mort alors que tout sombrait autour d'eux, que leur maison s'effondrait sur leur tête, que les éclats des bombes faisaient plus de deux cents victimes !

C'est cette claire notion du miracle qui revenait dans les conversations avec l'espoir fermement accroché que puisque nous étions passés au travers de cet enfer, il était évident que nous avions la « baraka » et que ce qui devrait nous arriver par la suite ne serait que petit danger après ce que nous avions subi le 8 Juin et nous faisions même des projets d'avenir en esquissant une organisation de la France après la tourmente !

Néanmoins, les loisirs étalent grands, surtout pour les hommes, quand les déplacements de ravitaillement s’espacèrent avec la disparition des habitants. Comme la lecture manquait, un jeu de cartes retrouvé assura de nombreuses heures de distraction car les journées étaient merveilleusement calmes !...

Le front s’est rapproché certes : les chasseurs américains groupés par quatre virevoltent dans le ciel et attaquent à la mitrailleuse et à la bombe tout ce qui bouge sur les routes mais nous y sommes accoutumés. En ce mois de juillet le temps est magnifique et ces longues journées s'écoulent dans une nature

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resplendissante, les enfants jouent avec rien et, comprenant sans doute la grandeur du drame où ils sont plongés, se comportent très bien.

Nous apprenons a les mieux connaître : certains prouvent qu’ils ont un caractère montrant en toutes occasions, de la décision, du sang-froid, de l’assurance. Ils sont de précieux auxiliaires pour les travaux de campement et les besoins du ravitaillement.

D’autres, des émotifs, sont affolés par tout bruit insolite et nous les retrouvons souvent au fond de l’abri ou à l’ombre de la maison. On les voit peu, on ne les entend pas  mais nous n’en avons jamais vu pleurer.

Quelques-uns disparaissent aussi mais, eux, c’est par paresse et leur seul souci est d’éviter la petite corvée ; ceux-là on les connaît bien : tels ils étaient en internat, tels ils sont restés : des égoïstes.

Dans tout ceci pas question d’âge : on trouve de tout et à tout âge. Toutefois les jeunes sont apparemment au moins les plus insouciants et ils se sont le mieux adaptés à cet accident de leur vie !...

Le jour pointe à 4 h ½  et les premières clartés de l’aube marquent le synchronisme de l’arrêt des tirs de l’artillerie , de l’apparition des chasseurs et la sortie des enfants qui, trouvant l’abri inconfortable, se précipitent dans l’étable-dortoir où, sur la paille et le foin, ils achèvent leur sommeil de la nuit. Leur départ est suivi des adultes qui vont aussi s’allonger un peu sur les matelas ; et pendant deux heures, la maison est bien calme.

Mais à 6 h ½  il faut penser à déjeuner et les dames vont se répartir les tâches pour que dès 7 heures les enfants puissent manger le café au lait avec leur pain beurré. Après ce sera au tour des adultes quand la vaisselle aura été faite car elle serait insuffisante pour tout le monde et... la journée passe.

Au soir, le crépuscule annonce le commencement des obus et il n’y a pas de traînards pour aller à l’abri ! d’un côté les enfants, de l’autre les adultes, le tout suivant un ordre fixé une bonne fois : les femmes au centre avec les enfants, tandis que les deux jeunes gens restent près de l’entrée, préférant un certain risque en échange d’un peu plus de place pour s’allonger.

Le bombardement étant plus intense au début, il était pratiquement impossible de dormir et les ébranlements du sol causés par les chutes proches risquant de paniquer les enfants, j’ai décidé de fixer l’attention par la lecture. Nous avions trouvé dans le grenier de la maison un énorme volume obtenu par la reliure des fascicules du « Petit Journal illustré » des années 1880. Cette publication renfermait des nouvelles signées d’auteurs devenus célèbres voire même classiques ; c’est ainsi qu’à la lueur d’une vieille lampe tempête, je lisais ces courtes histoires en prenant de préférence celles humoristiques ou gaies et les principales « lettres de mon moulin » ont contribué à soutenir le moral de 38 personnes terrées dans un trou dans le rythme martelé des éclats d’obus.

De temps en temps, j’écrasais de façon bruyante un moustique indiscret qui, attiré par notre falot, s’attaquait à ma personne et ces claques avaient le don de faire sourire mon jeune auditoire, c’était parfait....

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Les minutes passaient, les coups d’espaçaient et je baissais la voix progressivement jusqu’au moment où quelques ronflements m’indiquaient d’arrêter et d’éteindre mon lumignon. Fatigué par la vie au grand air et les exercices pratiques tout le monde dormait au moins dans les premières heures car la position n’était pas confortable. Nous étions assis et devions dormir à moitié allongés en posant la tête sur l’épaule du voisin.

Pour modifier cette position, nous avons fait des planchettes qui, fixées sur un bâton planté entre les jambes permettaient de s’accouder et de dormir la tête sur les bras. Ainsi moitié tête an arrière, moitié tête en avant, nous dormions avec de brusques réveils causés par une ankylosé ou un 155 tombé trop près.

Il y en eut plusieurs qui troublèrent notre quiétude. Le matin les enfants se précipitaient pour trouver le point d’impact et, venant nous chercher, commentaient la direction, la pénétration et supputaient les risques encourus tant pour nous que pour les bêtes dont ils se considéraient comme les responsables.

Ainsi, jour après jour, notre vie s’écoulait dans une ambiance inquiète mais dans un accord total. Tous les adultes étaient parfaitement disposés à agir collectivement pour le salut général et les enfants se révélèrent merveilleux faisant même montre de beaucoup de cran en de nombreuses circonstances.

Il m’est infiniment agréable de noter l’action des deux Jean, mon neveu et mon fils : le 26 Juillet, notre provision de farine s’épuisait et nous commencions à être inquiets ; nous savions qu’un moulin existait sur les bords de la Taute, au fond d’une boucle, et, dans l’espoir d’y trouver de la farine, les deux jeunes gens décidèrent de s’y rendre avec un sac. En suivant les hautes haies de notre bocage, ils y parvinrent et chargèrent quelques mesures de farine, mais leurs mouvements avaient alerté les américains qui étaient en ligne sur l’autre rive derrière une haie et immédiatement des rafales de balles vinrent s’écraser autour d’eux et ce fut une fuite éperdue en utilisant tous les couverts... La chance était avec eux et leur retour fut un grand soulagement pour notre petite colonie alarmée par l’intensité du mitraillage. Malgré le danger ils n’avaient pas oublié leur mission et la farine devait servir le lendemain !

En effet M. Hue, un des derniers fermiers restés à Marchesieux, nous avait proposé de nous faire du pain et, le soir même, nous allâmes chez lui pour porter la farine et faire le levain, la panification et la cuisson devant se faire le lendemain.

Mais quand Jean se présenta à la ferme de M. Hue,il fut reçu par un sous-officier allemand qui lui tira dessus en criant. Jean connaissait très bien le pays il réussit encore cette fois à se tirer de ce mauvais pas, mais il avait eu chaud !
Nous apprîmes plus tard que M. Hue avait fait le levain mais qu’aussitôt après un groupe de soldats désirant piller sa ferme l’avait obligé à partir aussitôt et qu’il n’avait pas pu nous prévenir !
Ainsi les deux périls courus par Jean se révélaient inutiles puisque le pain ne put être fabriqué. Il fallut réduire les rations et utiliser un peu plus le lait et les pâtes.

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Mais les signes avant-coureurs se multipliaient ; les bruits de combat se rapprochaient, les batteries d’artillerie allemande se déplaçaient tous les jours un peu plus vers le sud-ouest, les chasseurs descendaient plus bas... et notre moral se maintenait très haut.

Pourtant un matin, nous connûmes notre plus grande angoisse : nous avions entrepris de tuer un veau et l’opération s’effectuait derrière la maison. Le pauvre animal attaché par les pattes de derrière à une branche de pommier fut saigné et, comble de raffinement, nous avions entrepris de le gonfler avec une pompe à bicyclette en effectuant des incisions aux pattes et au ventre.

L’opération se déroulait lentement mais de façon presque normale quand nous perçûmes un grondement énorme venant du nord ; un des enfants, grimpé sur le talus nous cria qu’il apercevait un groupe énorme de bombardiers se dirigeant droit sur nous ; aussitôt rassemblement des enfants et ensuite dispersion le long d’un talus perpendiculaire à leur marche. Les bombardiers s’avancèrent passèrent au-dessus de nous dans un vacarme effroyable car ils n’étaient pas très haut, puis ils continuèrent vers le sud.

Quelques minutes après, la terre tremblait sous les explosions que nous avons alors situées à une dizaine de Km... ce n’était pas pour nous…

Mais derrière, d’autres vagues arrivaient : les unes venant du nord, les autres venant du nord-est et qui se plaçaient en alternance, juste au-dessus de nos têtes, pour ensuite aller jeter leurs bombes dans la même direction. Toutefois, nous constations que le point de chute se rapprochait.

A ce moment notre moral était très bas : allions-nous être écrasés par ce rouleau compresseur d’un genre nouveau ! Nos mesures de protection étaient vaine ! Ce serait trop bête d’avoir tenu si longtemps pour périr si près de la délivrance !

J’avais fait grimper un « grand » dans un arbre pour me renseigner sur les apparitions des vagues et pendant près d’ 1 heure ½ le pauvre guetteur signalait toujours de nouveaux bombardiers !

Je dois le reconnaître, j’ai eu très peur et j’ai mesuré sérieusement la grande responsabilité que j’avais assumée en conservant les pensionnaires et en refusant de me replier vers le sud !
Pendant ces instants les enfants et les adultes blottis au pied des « coudres » formant la haie retenaient leur souffle et attendaient, inquiets, un événement qu’ils devraient subir passivement.         
Enfin un « J’en vois plus ! » termina nos alarmes et je vous prie de croire que nous fûmes un bon moment avant de réaliser que nous étions sauvés !

Le repas de la mi-Journée s’effectua bien tard dans l’après- midi. Le veau attendit en se balançant sous le pommier et il ne fut pas question de le gonfler : un rapide dépeçage et un découpage sommaire achevèrent notre journée.

Le lendemain le ciel était radieux et il nous sembla que les chasseurs descendaient encore plus bas. Vers midi ils furent remplacés par de petits avions volant lentement et l’un de ceux- ci dut nous voir car il descendit vers nous. A tout hasard, je fis étaler 3 couvertures qui pouvaient, avec de la bonne volonté, figurer notre drapeau tricolore !

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Et la nuit vint. Au crépuscule nous entendîmes des commandements allemands, des bruits de roues ferrées et de chevaux sur la petite route des Baux ; quelques enfants affirmèrent plus tard avoir entendu parler en direction du nord-est... mais je n'en ai aucune preuve.

Tout le monde était dans l'abri à 10h et cette nuit nous parut extraordinairement calme : pas de coup de canon, pas d'éclatements.

Au petit jour des cris de joie réveillèrent les adultes. Comme je l’ai dit quelques enfants, réveillés toujours très tôt, sortaient de l'abri dès les premières lueurs pour aller s'allonger sur le foin dans la maison. C'était eux qui poussaient des cris de joie ! Ils étaient accompagnés par des américains des troupes de choc tout surpris de nous voir sortir dans une région absolument abandonnée.

Immédiatement le contact fut pris : Paulette et Jean qui s'exprimaient en anglais expliquèrent notre situation : moins de 5 minutes après, un chargement de ravitaillement nous parvenait. Cette distri­bution considérable de victuailles, dans une présentation inattendue, fut un événement marquant. Ouvrant les rations K, chacun se précipitait sur sa préférence ; les enfants se régalèrent de chocolat... et de cigarettes ! Les adultes croquèrent des gâteaux, des bonbons ou allèrent vivement se confectionner un bon café.

Notre joie est impossible à décrire et avec le recul du temps je revois les soucis qui s'envolèrent, les douleurs qui s'estompèrent, les sourires, les rires qui ponctuèrent toutes nos découvertes !
Nous aurions bien voulu accueillir convenablement nos libérateurs et leur offrir ce dont ils pouvaient avoir envie ou besoin, malheureusement ils demandaient du Calvados… et cela nous n'en avions pas !
Et puis les soldats affluèrent, il en venait de partout précédés de démineurs promenant devant eux leur grande poêle à frire au ras du sol.

Un officier arriva, je lui expliquai notre cas (il comprenait le français) et lui demandait de nous permettre de regagner Périers Il repartit et, quelques instants après, deux jeep avec remorque venaient nous chercher.

Malheureusement ils ne prirent pas la direction de Périer mais par Raids et St-Eny nous fûmes conduits à l'ancien château des Terres rouges.

Libres d'errer dans le parc, il nous était interdit de sortir. Les américains nous ravitaillaient très largement et nous passâmes la nuit dans une école. Oserai-je dire que cette nuit fut la plus mauvaise de toutes ! En effet, nous étions en plein marais inondé par les allemands pour restreindre les parachutages et nous fûmes attaqués toute la nuit par des nuées de moustiques !

Le lendemain matin, dans un camion militaire, je partis avec tous les enfants et en faisant tout le tour du Cotentin, je remis chaque enfant à ses parents. La joie de chacun, était énorme et il fallait se fâcher pour éviter les invitations à arroser ! Les américains ne cédèrent qu'à Vasteville où Mme Bonnissent nous fit une omelette au jambon qui fut appréciée car nous avions très faim et ... rien n'y manquait.

Le surlendemain ce fut le retour des adultes à Périers ou plutôt à ce qu’il en restait.

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Nous retrouvâmes le C.C. bien abîmé mais habitable et tout heureux d’avoir retrouvé un toit, nous en fîmes un vrai caravansérail pour tous ceux qui revenaient et qui, sans foyer, cherchaient à revivre.

Aucune plainte réelle devant le désastre, aucun découragement : nous ne savions pas ce qu’allait être l’hiver 44/45 dans un pays sinistré à 90% sans électricité, sans auto, sans lits, sans vaisselle... au milieu de l’indifférence d’une administration préfectorale tatillonne et de l’animosité de certains profiteurs de l’occupation qui ne furent pas punis.









Le groupe réfugié chez Mme Regnault
Allongé : Roger Féron ; de gauche à droite, au premier rang : Désiré Nciollet, Raymond Féron, Max Delbart, Claude Quoniam, Jacques Féron, Daniel féron, Gilbert Martin ; au deuxième rang : N... , Christian Faudemer, Bernard Lefaix, André Féron, Yves Bonnissent, Pierre Féron, Gritot, Bernard Gillette ; derrière : André Nicollet, Auguste Villard dit "Gusu", Bernard Feuardent, Pierre Bonnissent, François Pavie, Louis Nicollet, N... , Pierre Grossin (Jean Heuvet était également du groupe et peut-être Marcel Juste) Périers et ses écoles p. 143.

Bombardier de l'opération Cobra (US Army)






Références :

Henri LEVAUFRE (+), Nous étions tous en Normandie, Marigny, Editions Eurocibles, 689 p.

Mme Marie, Des jeunes filles dans la bataille de Normandie, juin-juillet 1944. Carnet de bord des pensionnaires sous les bombes, Préf. M. Lebas, préfet de la Manche, Alençon, Imprimerie alençonnaise, 1949, 240 p. Ed. originale. https://mhem-carentan.blogspot.com/search?q=Mme+Marie.


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