Nous connaissions les bataillons scolaires. A Bricqueville-sur-Mer, l'instituteur dans le cadre des exercices militaires à l'école, initie, avec le conseil municipal de la commune, une école de natation. Une initiative que l'inspecteur d'académie de la Manche s'empresse de relayer dans le Bulletin de l'enseignement primaire de la Manche de 1883.
L'instituteur, directeur de l'école, est Emile François Lelièvre, né à Vengeons le 2 décembre 1843 et mort à Bricqueville-sur-Mer le 30 mai 1920. Il avait épousé, le 5 février 1872, Marie-Thèrèse Tétrel, née le 16 mars 1840 à La Lucerne-d'Outre-mer, aussi décédée à Bricqueville-sur-Mer le 16 janvier 1929. Emile Lelièvre est un instituteur qui a la confiance tant de son administration que de ses collègues. Le 26 février 1885, il est élu au Conseil d'administration de la Société de secours mutuels de la Manche pour l'arrondissement de Coutances. (Bulletin de L'instruction primaire de la Manche, mars 1885).
Pour la mise en oeuvre de cette école de natation, Emile Lelièvre s'appuie sur les compétences reconnues de M. Ponée, ex-syndic des gens de mer, capitaine.
Ce patronyme est bien connu à Granville. Ici, il s'agit de Joseph Ponée, né à Granville le 17 septembre 1831, fils de Mathieu Georges François Ponée, navigateur, et de Marie Le Couturier. Il se marie le 2 décembre 1863, à Granville, avec Jeanne, Joséphine Lisembard. En 1882-1883, ils sont domiciliés à Bréhal. Joseph Ponée est le neveu de François Ponée, navigateur, capitaine de vaisseau, contre-amiral, préfet maritime, commandeur de la Légion d'honneur, né le 9 décembre1775 à Granville (LH/2196/59). Joseph Ponée meurt le 17 novembre 1906 à l'hospice de Granville (Journal de la Manche et de Basse-Normandie).
Le texte qui suit, reproduit intégralement, est un extrait du rapport transmis par l'instituteur à sa hiérarchie.
Yves Marion
L’enseignement des exercices de
gymnastique militaire.
Création d’une école de natation à
Bricqueville-sur-Mer.
Quelque temps avant la fin de l’année
classique 1882-1883, M. Lelièvre, instituteur public à Bricqueville-sur-Mer, a
fondé, dans cette commune, une école de natation, destinée à servir
d’application aux exercices gymnastiques.
Nous extrayons du rapport que ce
maître nous a adressé sur cette utile création les intéressants passages
ci-après, sur lesquels nous croyons devoir appeler toute l’attention de MM. les
instituteurs du département :
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Au mois de mai dernier,
je profitai de la session ordinaire du Conseil municipal pour lui exposer les
projets, qu’il voulut bien agréer. La commune se trouvant dans une situation
financière difficile, je refusai la subvention communale qui me fut offerte,
mais je m’empressai d’ouvrir une souscription. Tous les Membres du Conseil,
moins un, voulurent bien s’inscrire. Je présentai ensuite ma liste dans
quelques familles et, au bout de trois jours, je me trouvai avoir recueilli 190
fr., somme jugée suffisante.
Pour les leçons de bains,
je m’adressai à un homme très compétent en cette matière, M. Ponée, ex-syndic
des gens de mer, capitaine, titulaire de 6 médailles, lauréat du prix Monthyon
en 1882, et j’obtins de lui que, moyennant une allocation de 100 fr., il serait
à ma disposition, pour les bains, tous les jours de beau temps, pendant les
mois de juillet et août, et, de plus, qu’il donnerait, tous les jours
scolaires, en juin et juillet, une leçon d’exercices militaires à toute la
classe. J’ai acheté des ceintures de natation, je fis construire des appareils
suspendus pour apprendre à sec, dans la cour, les mouvements de natation, et je
gardai le reste de la somme pour me procurer plus tard des livrets de Caisse
d’épargne destinés à être décernés en prix à la fin de la saison.
Ce qui était convenu
fut exécuté. Les élèves, exercés tous les jours, se trouvèrent à la fin de
juin, capables d’exécuter les principaux mouvements militaires, avec une
précision et un entrain étonnants.
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Dès les premiers jours
de juillet, les exercices pratiques de natation commencèrent pour tous ceux des
enfants qui s’étaient munis du consentement écrit des parents ; Le nombre s’accrut
progressivement et atteignit bientôt le chiffre de 50 quelques jours.
Les exercices avaient
lieu le soir après la classe. Nous avons, M. Ponée et moi redoublé de zèle pour
gagner la confiance des familles, d’abord en commençant nos exercices dans une
faible profondeur d’eau, en tendant des cordes fixées à des pieux pour former
une enceinte qu’il était défendu de franchir, en ne faisant prendre, par l’instructeur,
qu’un élève à la fois, en dehors de l’enceinte, pour l’exercer individuellement
et en le tenant constamment par l’anneau de la ceinture de natation.
Les progrès furent
rapides ; au bout de trois ou quatre jours, la plupart des élèves pouvaient sans
peine se maintenir indéfiniment sur l’eau, se laisser mollement balancer par
les vagues sans perdre leur position, faire en un mot ce que l’on appelle la planche.
Les résultats ainsi obtenus ne manquèrent pas d’exciter l’émulation. Vinrent ensuite
les mouvements de natation ; ce fut plus long ; aussi, pour mener mon
entreprise à bonne fin, je consentis à rester la plus grande partie des
vacances à mon domicile, épiant chaque belle journée afin d’en profiter pour
rallier ma petite troupe.
Environ 15 sont
parvenus à acquérir en natation une célérité et une pratique convenables,
particulièrement nécessaires dans une commune du littoral ou presque personne
ne sait nager. Des exercices de sauvetage, dans l’eau et à terre, ont aussi été
faits durant nos leçons ; les soins donnés aux noyés ont été expliqués,
démontrés, simulés : l’importance de semblables leçons est incontestable.
Chaque jour d’exercice
nous avions, pour nous rendre de l’école à la mer, environ 2k5 à
parcourir. Ce chemin se faisait joyeusement, en exécutant des mouvements
militaires, des marches surtout ; parfois des chants patriotiques, à cadence
appropriée à la marche au pas et jusqu’à des chœurs à 2 voix, venez donner un
attrait de plus à notre excursion.
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Plusieurs séances ont
été employées à expliquer pratiquement les principaux termes de géographie, en
faisant construire aux enfants, dans le sable, sur le bord de l’eau, des caps,
des golfes, îles, etc. Il faut avoir vu travailler ces cinquante élèves, avec
leurs pieds, avec leurs mains, pour se faire une idée de l’entrain qui existait
surtout s’ils espéraient obtenir un signe approbatif du maître.
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L’instituteur public de Bricqueville-sur-Mer,
signé : Lelièvre.
Source : Bulletin de l’Instruction primaire de la Manche ; 3e année,
n° 10, octobre 1883, p. 300-301.