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dimanche 19 décembre 2021

Sapins de Normandie par Léon Deries

Contes de Noël normands par Chistophe Canivet.


SAPINS DE NORMANDIE[1]

Un coup, deux coups......  douze petits coups tous pareils à la pendule, et, d'une aile légère, la vieille année va s'envoler, d'une aile plus légère encore la jeune année va soudain venir se poser à sa place. Depuis bien des mois déjà, les fées, les magiciens, les enchanteurs, les architectes, inventeurs et artisans mystérieux qui de rien savent faire quelque chose, se sont mis à l’œuvre dans leurs merveilleux ateliers où ne pénètrent que les gnomes, les gobelins, les farfadets, tous les hôtes invisibles des royaumes de magie et de féerie. Puis un jour, au travers de la brume de décembre, d'éblouissantes lumières se sont allumées dans les villes, dans les petites comme dans les grandes. Au milieu des guirlandes de gaz, des couronnes électriques ainsi qu'en autant de palais de l'Exposition Universelle, sont apparus sur la soie, le velours, en demies pyramides, en colonnes, en étages superposés à l'infini, tous les prodiges de l'art et de l'industrie des fées, des magiciens et de enchanteurs. Et au sortir de classe, ignorants du logis, les jeune écoliers et les jeunes écolières restent là, immobiles, en extase, pour un instant transportés dans un monde qui hantera leurs rêves de ses inoubliables visions.

Les fondeurs, forgerons, ciseleurs et ajusteurs ont roulé, martelé, façonné le fer, et, sous leurs doigts agiles, le fer s'est métamorphosé en torpilleurs, en locomotives et en automobiles à l'usage de la nation du Petit Poucet. Les ingénieurs ont construit des forteresses avec des canons nouveau modèle. D'autres, plus experts en l'art d'ouvrer la matière, ont d'un coup de baguette, transformé en escadrons de cavaliers, en bataillons de fantassins, français. russes, chinois et japonais des masses informes de bois, de plomb et de carton. Il y a des panoplies de toute arme pour soldat, capitaine, colonel et général. Pour deux francs on est soldat, pour cinq, capitaine, pour dix, colonel, pour vingt, général. Toutes les bêtes de la création depuis le mouton, le chien, l'âne, le cheval, la girafe et l'éléphant se donnent rendez-vous dans des ménageries renouvelées de l'arche de Noé.

Cependant, à un souffle léger venu je ne sais d'où, ainsi qu'un chœur de figurantes dans on décor d'opéra, l'innombrable tribu des poupées s'est éveillée à la vie, toujours gaie, toujours pimpante, toujours coquette, vieille comme la femme et jeune comme elle, comme elle capricieuse, comme elle un peu folle en ses ajustements multicolores. Il est parmi elles d'orgueilleuses princesses aussi hautes que leurs futures mamans, qui remuent les lèvres, tournent des compliments de quelques mots, dansent la polka, la mazurka et le menuet. Tout de soie habillées, elles laissent tomber sur leurs épaules des cascades blondes ou brunes de fines chevelures. Il est aussi d'humbles prolétaires, des filles du peuple, paysannes d'Arles, de Quimperlé, de Concarneau, du pays d'Auge, du pays de Caux ou du Cotentin qui ne savent ni parler, ni chanter, ni valser, mais étalent de jolis bonnets, de fraîches collerettes et de gentils corsages. Pour les faire belles, il n'a fallu qu'un bout de ruban, un chiffon de moire, un brin de dentelle, plissés, froncés et festonnés. Les plus riches d'entre ces pauvres mesurent vingt centimètres et valent soixante-cinq centimes. Les moins cossues sont grandes comme trois doigts et coûtent quinze centimes. Que voulez-vous ? Quand on coûte trois et même treize sous, on ne peut se donner des atours de marquise, mais on ne manque pas pour cela de goût. On porte crânement un canotier sur l'oreille, on arbore une plume à son toquet. La robe est toute simple, toute unie, mais elle ne va pas mal du tout. Et puis on a des yeux qui savent sourire, des dents qui ressemblent à des perles à travers des lèvres roses. On a vingt ans comme les autres.

Pas plus que les princesses, les gentilles ouvrières et les accortes paysannes ne sauraient coucher en plein air, à la belle étoile. Il faut des maisons. Elles en auront à leur taille et elles les meubleront. Pour quelques sous, le jour de leur entrée en ménage, elles feront emplette d'un fourneau et d'une batterie de cuisine, d'une table, de chaises, voire même parfois d'une armoire à glace. Elles n'auront point de salon de réception, ni de boudoir avec des tapisseries et de tentures, des fauteuils et des canapés, des lustres et des candélabres. Mais l'imagination enfantine, cette fée des fées, la plus magnifique, la plus puissante des déesses surnaturelles n'est-elle point là pour embellir à sa guise le plus nu des intérieurs ? Riches d'invention, de fantaisie, d'art et de poésie, les yeux charmés de la plus pauvre fillette verront un palais là où les nôtres n'aperçoivent qu'une chaumière.

Vers minuit, après avoir six mois durant, nuit et jour travaillé dans leurs inaccessibles demeures, les fées, les magiciens et les enchanteurs visitent chaque année la terre. Les uns parcourant ter villes, les autres les campagnes. Ceux-ci portés en carrosse comme des monarques traînent à leur suite sur d'énormes chariots des montagnes de jouets inédits. Ceux-là, une hotte au dos, un panier au bras, s'en vont de porte en porte par les routes, les ruelles et les carrefours. D'aucuns revêtent le traditionnel costume du bonhomme Noël. Sur leur chemin ils cueillent des branches, ils en font des arbres minuscules. Ils les plantent devant l'âtre et le matin, à l'heure où ils s'éveillent, les petits enfants, jusque dans les foyers les moins fortunés cueilleront en pleurant de joie, quelqu'un de ces fruits étranges qui sont des trompettes, des bébés, des clowns, des pierrots et des polichinelles.

Au temps jadis, les fées, magiciens et enchanteurs dans leurs tournées oubliaient ces logis hospitaliers de l'enfance qui sont les écoles. Aujourd'hui ils en ont appris la route. Leurs plus hauts, leurs plus beaux sapins, ils les réservent pour ces cités enfantines où se presse rieur, bruyant et bavard, tout le jeune peuple de France. Ils les décorent, les pavoisent, les illuminent. Leurs hottes semblent inépuisables. Il en sort de tout, de tout ce dont on rêve à six ans, à dix ans, et même un peu plus tard, des riens, si l'on veut, mais de ces riens qui sont une journée, une semaine de bonheur sans mélange. Et à la même heure, avec leurs lanternes, leurs girandoles, leurs rubans, leurs festons, leurs pendeloques qui rayonnent comme des soleils, tous ces arbres forment comme une forêt à nulle autre pareille, comme n'en virent jamais les héros et les héroïnes des contes de Perrault, une forêt où au gré des désirs de chacun, pousse, fleurit et fructifie, sous les yeux mêmes des visiteurs qui y promènent leurs pas, la plus invraisemblable, mais la plus charmante des végétations.

Grandissez, sapins de Noël. Soyez toujours plus hauts, toujours plus larges, toujours plus beaux. Étendez en tous sens plus lourde et plus riche votre épaisse frondaison de minces aiguilles. Montez jusqu'au ciel. Unissez-vous, mêlez vos branches, confondez vos troncs. De tous vos fûts élancés, de tous vos rameaux épars, ne faites plus qu'un seul et même arbre, l'arbre unique, l'arbre immense autour duquel mèneront joyeusement leurs rondes tous les garçonnets, toutes les fillettes de ce vieux sol où plongent vos robustes racines séculaires. Ayez, des présents pour tous. Qu'autour de vous, à l'ombre de votre vert feuillage s'assemblent les enfants, qu'autour de vous dans le même cercle familial s'assemblent aussi les parents. Sous les parvis de l’École que tous, ne serait-ce qu'une minute, aient au cœur la même joie fraternelle sans haine, sans rancune et sans envie. Regardez bien. Cachée au plus profond de la ramure, la divine aïeule la France n'est-elle pas là ? À tous du même sourire d'espérance, de tendresse et d'amour, elle sourit.

 

L. DERIES

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